Je suis couché de tout mon long,
au fin fond de l'Atlantique, Père Pèlerin,
appuyé sur un coude,
au fin fond de l'Atlantique.
Je lève les yeux :
je vois un sous-marin,
là-haut, très haut, au-dessus de ma tête,
il glisse à cinquante mètres de profondeur,
tel un poisson, Père Pèlerin,
reclus et muet dans sa cuirasse et dans l'eau,
tel un poisson.
[...] La lumière pénètre jusqu'à quatre cents mètres,
puis ce sont les ténèbres immenses,
profondes.
De temps en temps seulement,
des poissons étranges passent dans l'ombre,
l'éclaboussent de lumière.
Ensuite, il n'y a plus rien.
Plus rien,
jusqu'au fond,
rien que les eaux,
couches après couches,
épaisses, absolues,
et tout en bas,
moi.
Je suis couché de tout mon long, Père Pèlerin,
couché de tout mon long au fin fond de l'Atlantique,
appuyé sur un coude,
je regarde vers en haut.
L'Europe et l'Amérique, au-dessus de l'Atlantique,
ça fait deux,
mais pas au fond,
là, c'est tout un.
[...] Les pétroliers font feu,
et crachant leurs hommes et leurs cargaison,
ils se mettent à sombrer.
Mazout, pétrole, essence,
la surface de la mer prend feu.
Là-haut coule un fleuve de flammes,
gras et gluant,
un fleuve de flammes, mon cher,
rouge, bleu, noir,
un paysage de chaos primitif,
et tout près de la surface, dans l'eau, une belle pagaille :
explosions, désagrégations,
regarde ce pétrolier qui coule,
il a l'air d'un somnambule,
d'un lunatique.
Pour lui, plus de chaos,
il pénètre dans le paradis de l'univers marin,
il descend, sans cesse,
il se perd dans les ténèbres aquatiques,
il ne tiendra pas, il sera mis en pièces,
et son mât, mon ami, ou sa cheminée,
viendra échouer à mes côtés.
***
Nazim Hikmet, En cette année 1941, extrait
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