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Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Dans un brouillard d’après-midi tiède et vert ?
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
– Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert !
Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case
Chérie ? Quelque liqueur d’or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d’auberge.
– un orage vint chasser le ciel. Au soir
L’eau des bois se perdaient sur les sables vierges,
Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ;
Pleurant, je voyais de l’or – et ne pus boire. –
***
Arthur Rimbaud, « Larme », version de Une Saison en Enfer, 1873. Il existe une version antérieure différente, datée de 1872.
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue:
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Le mot V E R R E D’E A U serait en quelque façon adéquat à l’objet qu’il désigne… Commençant par un v, finissant par un u, les deux seules lettres en forme de vase ou de verre. Par ailleurs, j’aime assez que dans V E R R E, après la forme (donnée par le V), soit donnée la matière par les deux syllabes E R R E, parfaitement symétriques comme si, placées de part et d’autre de la paroi du verre, l’une à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, elles se reflétaient l’une en l’autre. Le fait que la voyelle utilisée soit la plus muette, la plus grise, le E, fait également très adéquat. Enfin, quant à la consonne utilisée, le R, le roulement produit par son redoublement est excellent aussi, car il semble qu’il suffirait de prononcer très fort ou très intensément le mot V E R R E en présence de l’objet qu’il désigne pour que, la matière de l’objet violemment secouée par les vibrations de la voix prononçant son nom, l’objet lui-même vole en éclats. (Ce qui rendrait bien compte d’une des principales propriétés du verre : sa fragilité.)
Ce n’est pas tout. Dans V E R R E D’E A U, après V E R R E (et ce que je viens d’en dire) il y a E A U. Eh bien, E A U à cette place est très bien aussi : à cause d’abord des voyelles qui le forment. Dont la première, le E, venant après celui répété qui est dans V E R R E, rend bien compte de la parenté de matière entre le contenant et le contenu, – et la seconde, le A (le fait aussi que comme dans OE I L il y ait là diphtongue suivie d’une troisième voyelle) – rend compte de l’oeil que la présence de l’eau donne au verre qu’elle emplit (l’oeil, ici, au sens de lustre mouvant, de poli mouvant). Enfin, après le côté suspendu du mot V E R R E (convenant bien au verre vide), le côté lourd, pesant sur le sol, du mot E A U fait s’asseoir le verre et rend compte de l’accroissement de poids (et d’intérêt) du verre empli d’eau. J’ai donné mes louanges à la forme du u.
***
Francis Ponge, Méthodes, 1961
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