Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête,
Quatre à qui l’on avait coupé le cou,
On les appelait les quatre sans cou.
Quand ils buvaient un verre,
Au café de la place ou du boulevard,
Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.
Quand ils mangeaient, c’était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c’était du sang.
Quand ils couraient, c’était du vent,
Quand ils pleuraient, c’était vivant,
Quand ils dormaient, c’était sans regret.
Quand ils travaillaient, c’était méchant,
Quand ils rodaient, c’était effrayant,
Quand ils jouaient, c’était différent,
Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c’était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui leur restait de sang.
Leurs mains avaient des lignes sans nombre
Qui se perdraient parmi les ombres
Comme des rails dans la forêt.
Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois
Et les idoles se cachaient derrière leur croix
Quand devant elles ils passaient droits.
On leur avait rapporté leur tête
Plus de vingt fois, plus de cent fois,
Les ayant retrouves à la chasse ou dans les fêtes,
Mais jamais ils ne voulurent reprendre
Ces têtes où brillaient leurs yeux,
Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.
Cela ne faisait peut-être pas l’affaire
Des chapeliers et des dentistes.
La gaîté des uns rend les autres tristes.
Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain,
J’en connais au moins un
Et peut-être aussi les trois autres,
Le premier, c’est Anatole,
Le second, c’est Croquignole,
Le troisième, c’est Barbemolle,
Le quatrième, c’est encore Anatole.
Je les vois de moins en moins,
Car c’est déprimant, à la fin,
La fréquentation des gens trop malins.
***
Robert Desnos, Les Sans cou, 1934
illustration : court-métrage réalisé par Cedric Grech, production C.chromatique
2 commentaires
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7 mai 2010 à 02:58
latrace
Tous égaux, avec ou sans cou!
7 mars 2014 à 12:01
Cochonfucius
Quatre martyrs
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C’étaient quatre grands saints, de leur tête porteurs :
Saint Denis qui demeure au-delà d’une plaine,
Saint Gohard, qui filait une très pure laine,
Saint Frajou, maîtrisant l’art des apiculteurs
Et Saint Clair de Beauvais, merveilleux orateur.
Nul des quatre ne fit de tentative vaine
Pour recoudre son cou, ce n’en fut point la peine ;
D’ailleurs, ça leur eût fait perdre des spectateurs.
Robert les a décrits comme deux Anatoles,
Avec uni Croquignole ainsi qu’un Barbemolle,
Qui, collectivement, sont les Quatre Sans Cou.
Je demande à Denis : « Pauvre céphalophore,
Comment vis-tu l’état que chez toi l’on déplore ? »
« Bien, dit-il, du moment que je peux boire un coup .»