Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot?
Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l’oeil des mots en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.
***
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939 (extrait)
2 commentaires
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29 juin 2010 à 14:47
eliram
La poésie de Césaire est extrêmement forte. Etrangement, je ne connaissais pas celle-ci. Merci pour me l’avoir faite découvrir.
29 juin 2010 à 17:10
Langda
Mais je vous en prie ! la clarté n’est pas la principale qualité de Césaire, mais quand on rentre dans sa poésie, en effet, c’est souvent complètement hallucinant et renversant !