Ne quiers* voir la beauté d’Absalon
Ni d’Ulyssès le sens et la faconde*,
Ni éprouver la force de Samson,
Ni regarder que Dalila le tonde,
Ni cure n’ai par nul tour
Des yeux Argus ni de joie gringnour*,
Car pour plaisance et sans aÿde d’âme
Je vois assez, puisque je vois ma dame.
De l’image que fit Pygmalion
Elle n’avait pareille ni seconde ;
Mais la belle qui m’a en sa prison
Cent mille fois est plus belle et plus monde* :
C’est un droit fluns* de douceur
Qui peut et sait guérir toute douleur ;
Dont cil a tort qui de dire me blâme :
Je vois assez, puisque je vois ma dame.
Si* ne me chaut* du sens de Salomon,
Ni que Phoebus en termine ou réponde,
Ni que Vénus s’en mêle ni Mennon
Que Jupiter fit muer en aronde,
Car je dis, quand je l’adore,
Aime et désir’, sert et crains et honore,
Et que s’amour sur toute rien m’enflamme,
Je vois assez, puisque je vois ma dame.
***
(Je) ne quiers : je ne veux pas
faconde : éloquence
gringnor : plus grande
monde : pure
fluns : fleuve, flux
Si : ainsi
(il) ne me chaut : je ne me préoccupe pas
4 commentaires
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30 août 2010 à 21:32
Kajan
je ne puis que constater que l’amour fait mettre la barre haut… et rend très facond
31 août 2010 à 09:05
Désirée
Ce poème sent l’amour courtois. Pourtant il me semble un peu tardif…
En tout cas c’est une jolie déclaration. Et toujours la régalade des mots perdus. C’est « gringnour » ou « gringnor »? « Monde » au sens de « pure » ma foi ça ne coulait pas de source, intéressant.
31 août 2010 à 18:10
Langda
Comme le dit si subtilement Kajan ;-), à partir des troubadours puis de l’amour courtois, l’amour est toujours une source d’inspiration, aussi féconde que faconde !
Sinon, « gringnor » était une faute de frappe de ma part, mais comme l’orthographe n’est pas vraiment fixe jusqu’à en gros l’imprimerie, les premiers dicos, et surtout la création de l’académie, on trouve toutes les formes possibles et imaginables selon les régions, les époques et les auteurs : -or, -our, -eur par exemple pour le suffixe, qui se prononce à peu près -eur. En général les textes médiévaux sont en orthographe modernisée, c’est-à-dire alignée sur l’orthographe moderne.
Pour « monde », dont nous avons gardé le contraire, « immonde », avec un sens légèrement différent de « impur », c’est intéressant, je viens de chercher rapidement :
– il y a l’adjectif « mundus, a, um » en latin qui signifie « pur », ou « propre », mais aussi « élégant, raffiné »
– le nom « mundus, i » signifie d’abord « parure, toilette », mais aussi « monde ».
Les deux termes semblent liés. On peut penser à la vision chrétienne ancienne où le monde matériel est une sorte de parure créée par dieu. Cette parure est certes assez élégante, mais pas vraiment pure… Donc, le monde est immonde !
31 août 2010 à 21:28
Kajan
un peu peut-être comme interdit de monde… privé du droit d’y paraitre… condamné à l’errance souterraine… dans la fange… immonde