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Jean Paul est un romantique allemand entre autres connu pour ses récits de rêves. Dans celui-là, le narrateur se retrouve au milieu d’un cimetière, la nuit, à l’heure où « les morts se lèvent dans les églises et parodient les services divins qu’y célèbrent les vivants ». Je précise quand même que Jean Paul est tout sauf un auteur athée… Ce texte est supposé fiche la trouille aux sceptiques, et prouver que sans Dieu, le monde basculerait dans le néant.
Alors descendit d’en haut sur l’autel une figure noble, élevée, pleine d’une impérissable douleur ; et tous les morts s’écrièrent : Christ, n’y a-t-il point de Dieu ? Il répondit : Il n’y en a pas.
Toutes les ombres de ces morts se prirent à trembler, et ce n’était pas seulement leur poitrine qui palpitait, c’était elles tout entières ; et elles commencèrent l’une après l’autre à se dissoudre de terreur.
Le Christ continua : J’ai parcouru les mondes, je suis monté dans les soleils, j’ai traversé les déserts lactés du ciel : mais il n’y a point de Dieu. Je suis descendu aussi bas, aussi loin que l’existence peut jeter son ombre ; j’ai regardé dans l’abîme, et je me suis écrié : Père, où es-tu ? Mais je n’ai entendu que l’éternel orage que personne ne gouverne, et un arc-en-ciel étrange, qui ne devait point sa naissance au soleil, se courbait sur l’abîme et y dégouttait en pluie. Dans ce monde incommensurable, je cherchais l’œil de Dieu, et je n’ai vu qu’un orbite vide, noir, sans corps. L’éternité reposait sur le chaos, et le rongeait, et se dévorait elle-même. Criez, discordantes tempêtes ; ombres, criez ; car Il n’est pas.
Les ombres décolorées s’évanouirent, comme ces vapeurs blanchâtres, condensées par le froid, disparaissent sous une tiède haleine, et tout fut vide. Alors, spectacle affreux pour le cœur ! alors accoururent dans le temple les enfants morts qui s’étaient éveillés dans le cimetière ; et ils se prosternèrent devant la figure majestueuse, qui était sur l’autel et ils dirent : Jésus, n’avons-nous pas de père ? et il répondit avec des flots de larmes : Nous sommes tous orphelins, vous et moi ; nous n’avons pas de père.
Alors des vents plus aigus sifflèrent : les murailles ébranlées du temple se poussèrent l’une sur l’autre ; le temple s’écroula sur les enfants ; la terre et le soleil s’engloutirent, et tout l’édifice du monde s’abîma devant moi dans son immensité.
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Jean Paul (1763-1825), in Choix de rêves, éd° Corti.
gravure : Albrecht Dürer, La Chute des étoiles, 1497
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