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CLEANTHE
Que dites-vous donc de la matière ?
AUTOMONOPHILE
Que la matière n’existe pas.
CLEANTHE
Quoi ? Prétendez-vous vous en tirer par une absurdité pareille ?
AUTOMONOPHILE
Dites-moi, quand êtes-vous en droit de dire qu’une chose est ?
CLEANTHE
Quand je la perçois.
AUTOMONOPHILE
C’est bien ce que je voulais vous faire accorder. Ce qui est, c’est ce que je vois, je touche ou j’entends, ou ce que je me souviens d’avoir vu, touché, entendu, mais rien d’autre. Ce que nous appelons le monde est la somme de nos sensations. Nous ne connaissons pas le monde lui-même, en lui-même, nous avons chacun un monde senti.
CLEANTHE
Voudriez-vous dire que personne ne sent le même monde ? Que chacun a un monde différent ?
AUTOMONOPHILE
Exactement. Voyons-nous identiquement ? Sentons-nous identiquement ? Tel a la langue goûteuse, tel un nez particulièrement savoureux, tel une sensibilité exquise au bout des doigts, et tel entendrait une mouche éternuer.
CLEANTHE
Cela est vrai.
AUTOMONOPHILE
Il y a donc autant de mondes que de particuliers.
[…]
CLEANTHE
Mais si les sensations ne sont pas l’empreinte d’objets extérieurs, que sont-elles dès lors ? Quelle est leur origine ?
AUTOMONOPHILE
Moi.
CLEANTHE
Comment ?
AUTOMONOPHILE
Si, si, vous n’en croyez pas vos oreilles, mais vous m’avez bien entendu. Je suis moi-même l’origine de mes sensations.
CLEANTHE
Vous ? L’auteur du monde ?
AUTOMONOPHILE
Moi-même. Ce monde, fait de couleurs, d’objets, d’odeurs, c’est moi qui en suis le créateur.
CLEANTHE
Mon ami, adieu. L’entretien n’a duré que trop longtemps. Comment pouvez-vous dire que c’est votre esprit qui produit lui-même, pour lui-même, ses sensations ?
AUTOMONOPHILE
Quand vous rêvez, n’êtes-vous pas l’auteur de votre rêve ? Lorsque vous vous voyez en train de voguer sur la mer, cap sur les Amériques, les vagues sont-elles autre chose que le produit de votre imagination ?
CLEANTHE
Naturellement, puisqu’il s’agit d’un rêve.
AUTOMONOPHILE
Qui vous l’apprend ?
CLEANTHE
Le réveil.
AUTOMONOPHILE
Et si vous alliez vous réveillez de la vie ?
CLEANTHE
Allons ! …
Photo : Ben, J’ai rêvé 1985
Acrylique sur bois, collage d’objets et lit, 250 x 750 x180 cm
Galerie Baudoin Lebon, Fiac 1991
Collection Frac Paca
Photographie Frac/André Morain
Cher Dieu,
Je m’appelle Oscar, j’ai dix ans, j’ai foutu le feu au chat, au chien, à la maison (je crois même que j’ai grillé les poissons rouges) et c’est la première lettre que je t’envoie parce que jusqu’ici, à cause de mes études, j’avais pas le temps. Je te préviens tout de suite: j’ai horreur d’écrire. Faut vraiment que je sois obligé. Parce qu’écrire c’est guirlande, pompon, risette, ruban, et cetera. Ecrire, c’est rien qu’un mensonge qui enjolive. Un truc d’adultes.
La preuve? Tiens, prends le début de ma lettre: «Je m’appelle Oscar, j’ai dix ans, j’ai foutu le feu au chat, au chien, à la maison (je crois même que j’ai grillé les poissons rouges) et c’est la première lettre que je t’envoie parce que jusqu’ici, à cause de mes études, j’avais pas le temps», j’aurais pu aussi bien mettre: «On m’appelle Crâne d’Oeuf, j’ai l’air d’avoir sept ans, je vis à l’hôpital à cause de mon cancer et je ne t’ai jamais adressé la parole parce que je crois même pas que tu existes.»
Seulement si j’écris ça, ça la fout mal, tu vas moins t’intéresser à moi. Or j’ai besoin que tu t’intéresses.
……
Voilà. Alors Dieu, à l’occasion de cette première lettre, je t’ai montré un peu le genre de vie que j’avais ici, à l’hôpital, où on me regarde maintenant comme un obstacle à la médecine, et j’aimerais te demander un éclaircissement: est-ce que je vais guérir? Tu réponds oui ou non. C’est pas bien compliqué. Oui ou non. Tu barres
la mention inutile.
A demain, bisous,
Oscar.
P.-S. Je n’ai pas ton adresse: comment je fais?
Photo : Eric-Emmanuel Schmitt et les dames roses (si j’ai bien compris, les Blouses Roses est une association de personnes chargées d’accompagner et de distraire les enfants malades)
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