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quand j’écris le premier vers
j’ignore tout du deuxième
j’allais dire du second
voici déjà le quatrième
là quatrain c’est le second
il n’y a pas de troisième
les tercets bientôt viendront
si le courage m’entraîne
et je commence un tercet
mû par la nécessité
d’aller au bout du sonnet
au fond ce n’est pas chinois
n’importe qui a le choix
de pratiquer comme moi
***
Jean-Claude Pirotte (1939-2014), Gens sérieux s’abstenir, Ed° Le Castor Astral, 2014
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s’appelait Gisèle,
Si l’on pleurait lorsqu’on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l’on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l’agneau dévorait le loup,
Si les normands parlaient zoulou,
Si la mer noire était la Manche
Et la mer Rouge la mer Blanche,
Si le monde était à l’envers,
Je marcherais les pieds en l’air.
Le jour, je garderais la chambre,
J’irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois…
Quel ennui ce monde à l’endroit!
Jean-Luc Moreau, L’Arbre perché, 1989
Philippe Ramette, Contemplation irrationnelle, 2003
Soudain dans la forêt profonde est un conte. Matti et Maya sont deux enfants dont les village est victime d’une malédiction : tous les animaux en ont disparu depuis des décennies. Ici, Maya vient de trouver un chat. Dans la série « scènes symboliquement suspectes »…
Maya prit la main de Matti, fourra d’autorité ses doigts récalcitrants dans la douce fourrure du petit chat et ne les lâcha qu’une fois qu’ils se furent détendus. La main se calma sous la caresse, puis ce fut ensuite le tour du bras, de l’épaule et, enfin, de tout le corps. Le contact du pelage duveteux le ravit, autant que celui des doigts de Maya guidant les siens le long de l’échine veloutée du chat. […] L’animal ferma les yeux, imité par Matti qui sentait le petit corps frissonner au bout de ses doigts […]. Quand l’animal rouvrit les yeux – réduits à deux fentes couleur émeraude -, il fixa Matti comme pour lui dire : « Oui, caresse-moi encore, continue, s’il te plaît, nous aimons cela tous les deux, continue, oui, c’est ça, je t’en prie, ne t’arrête pas. »
Tout à coup, le petit chat lui décocha un clin d’oeil complice, sans aucune ambiguïté, comme pour signifier qu’il était parfaitement conscient de l’attrait qu’exerçait sa fourrure sur les doigts de Matti […].
***
Amos Oz, Soudain dans la forêt profonde, 2004, éd. folio, p. 80. Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen.
Faut bien se brosser les dents deux fois par jour,
Faut bien se laver les mains avant de bouffer
Pas comme un cochon de goulu,
Faut bien faire son caca,
Faut bien obéir à papa, à maman, au gendarme,
Faut bien gagner des sous
Pour que sa petite bonne femme
Elle puisse bien en croquer
Et que ses petits morpions
Ils puissent bien se la couler douce,
Faut bien toujours faire son devoir,
Faut bien aimer son prochain
Même si c’est la pire des charognes,
Faut bien se faire chier toute sa vie
Pour bien cadencher un de ces foutus matins
Où qu’il fera justement bien beau
Et qu’on l’aura bien carrément dans le cul.
Sots lunatiques, Sots étourdis, Sots sages,
Sots de villes, de châteaux, de villages,
Sots rassotés(1), Sots niais, Sots subtils,
Sots amoureux, Sots privés, Sots sauvages,
Sots vieux, nouveaux et Sots de toutes âges,
Sots barbares, étranges et gentils,
Sots raisonnables, Sots pervers, Sots rétifs(2) ;
Votre prince, sans nulles intervalles,
Le Mardi Gras, jouera ses Jeux aux Halles.
Sottes dames et Sottes damoiselles ,
Sottes vieilles, Sottes jeunes, nouvelles,
Toutes Sottes aimant le masculin,
Sottes hardies, couardes, laides, belles,
Sottes frisques (3), Sottes douces, rebelles ,
Sottes qui veulent avoir leur picotin (4),
Sottes trottantes sur pavé, sur chemin,
Sottes rouges, maigres, grasses et pâles,
Le Mardi Gras jouera le Prince aux Halles.
Sots ivrognes, aimant les bons lopins (5),
Sots qui crachent au matin jacopins (6),
Sots qui aiment jeux, tavernes, ébats ;
Tous Sots jaloux, Sots cardans les patins,
Sots qui chassent nuit et jour aux connins (7) ;
Sots qui aiment à fréquenter le bas,
Sots qui faites aux dames les choux gras (8),
Advenez-y, Sots lavés et Sots sales ;
Le Mardi Gras jouera le Prince aux Halles.
Mère Sotte semont (9) toutes les Sottes,
N’y faillez pas à y venir, bigotes (10) ;
Car en secret faites de bonnes chères.
Sottes gaies, délicates, mignottes (11),
Sottes douces qui rebrassez (12) vos cottes,
Sottes qui êtes aux hommes familières ,
Sottes nourrices, et Sottes chamberières (13),
Montrer vous faut douces et cordiales (14) ;
Le Mardi Gras jouera le Prince aux Halles.
Fait et donné, buvant vin à pleins pots,
En recordant la naturelle gamme,
Par le Prince des Sots et ses suppôts ;
Ainsi signé d’un pet de prude femme.
***
(1) rassoter : rendre sot
(2) rétif : qui refuse l’autorité, qui n’obéit pas
(3) frisque : vif, gai, pimpant
(4) picotin : moyen de subsistance, ration, part de quelque chose
(5) lopin : morceau (plutôt de viande ici)
(6) jacopin : flegme, gros crachats
(7) connin : lapin, se dit aussi des parties intimes féminines (cf. « con »)
(8) faire choux gras : tirer profit
(9) semondre : inviter à une cérémonie publique
(10) bigot : faux dévôt
(11) mignotte : câline
(12) rebrasser : retrousser
(13) chambrière : femme de chambre
(14) Il faut vous montrer douces et cordiales
Tableau de Pieter Bruegel l’Ancien, Le Combat de Carnaval et Carême, 1559
Voici quelques petites pièces qui ont la particularité de ne rimer que pour les yeux… L’auteur commente en italique.
[…] L’un de mes amis, sourd-muet de naissance (et très probablement, aussi, de mort), a la rage de confectionner des poèmes.
Je lui ai toujours caché l’affreuse vérité, mais à vous j’aime mieux vous la dire parce que vous allez immanquablement vous en apercevoir (à moins d’être fort pris de boisson), ses vers ne riment pas […] :
L’homme insulté‚ qui se retient
Est, à coup sûr, doux et patient.
Par contre, l’homme à l’humeur aigre
Gifle celui qui le dénigre.
Moi, je n’agis qu’à bon escient :
Mais, gare aux fâcheux qui me scient !
Qu’ils soient de Château-l’Abbaye
Ou nés à Saint-Germain-en-Laye,
Je les rejoins d’où qu’ils émanent,
Car mon courroux est permanent.
Ces gens qui se croient des Shakespeares
Ou rois des îles Baléares !
Qui, tels des condors, se soulèvent !
Mieux vaut le moindre engoulevent.
Par le diable, sans être un aigle,
Je vois clair et ne suis pas bigle.
Fi des idiots qui balbutient !
Gloire au savant qui m’entretient !
***
Etonnant le jury par sa science en dolmens
Le champion de footing du collège de Mens,
Gars aux vaillants mollets, durs tel l’acier de Siemens,
A passé l’autre jour de brillants examens.
Que je sois foudroyé sur l’heure, si je mens !
In corpore sano, vive Dieu ! sana mens.
PS : J’entends murmurer quelques personnes dans l’assistance et prétendre que sur ces six vers, pas un ne rime. Ne vous ai-je point prévenu que ce petit poème était dû à M. Xavier Roux, le poète sourd-muet de Grenoble ?
En matière de rimes, les sourds, comme l’indique leur nom, ne connaissent que d’ophtalmiques satisfactions.
***
Les gens de la maison Dubois, à Bone, scient
Dans la froide saison, du bois à bon escient.
(C’est vraiment triste, pour deux vers, d’avoir les vingt-deux
dernières lettres pareilles, et de ne pas arriver à rimer.)
***
Alphonse Allais, Par les bois du Djinn, Parle et bois du gin, poésies complètes, Gallimard.
Loin du temps, de l’espace, un homme est égaré,
Mince comme un cheveu, ample comme l’aurore,
Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,
Et les mains en avant pour tâter le décor
— D’ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore :
« Mince comme un cheveu, ample comme l’aurore »
Et pourquoi ces naseaux hors des trois dimensions ?
Si je parle du temps, c’est qu’il n’est pas encore,
Si je parle d’un lieu, c’est qu’il a disparu,
Si je parle d’un homme, il sera bientôt mort,
Si je parle du temps, c’est qu’il n’est déjà plus,
Si je parle d’espace, un dieu vient le détruire,
Si je parle des ans, c’est pour anéantir,
Si j’entends le silence, un dieu vient y mugir
Et ses cris répétés ne peuvent que me nuire.
Car ces dieux sont démons ; ils rampent dans l’espace
Minces comme un cheveu, amples comme l’aurore,
Les naseaux écumants, la bave sur la face,
Et les mains en avant pour saisir un décor
— D’ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore
« Minces comme un cheveu, amples comme l’aurore »
Et pourquoi cette face hors des trois dimensions ?
Si je parle des dieux, c’est qu’ils couvrent la mer
De leur poids infini, de leur vol immortel,
Si je parle des dieux, c’est qu’ils hantent les airs,
Si je parle des dieux, c’est qu’ils sont perpétuels,
Si je parle des dieux, c’est qu’ils vivent sous terre,
Insufflant dans le sol leur haleine vivace,
Si je parle des dieux, c’est qu’ils couvent le fer,
Amassent le charbon, distillent le cinabre.
Sont-ils dieux ou démons ? Ils emplissent le temps,
Minces comme un cheveu, amples comme l’aurore,
L’émail des yeux brisés, les naseaux écumants,
Et les mains en avant pour saisir un décor
— D’ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore
« Mince comme un cheveu, ample comme une aurore »
Et pourquoi ces deux mains hors des trois dimensions ?
Oui, ce sont des démons. L’un descend, l’autre monte.
À chaque nuit son jour, à chaque mont son val,
À chaque jour sa nuit, à chaque arbre son ombre,
À chaque être son Non, à chaque bien son mal,
Oui, ce sont des reflets, images négatives,
S’agitant à l’instar de l’immobilité,
Jetant dans le néant leur multitude active
Et composant un double à toute vérité.
Mais ni dieu ni démon l’homme s’est égaré,
Mince comme un cheveu, ample comme l’aurore,
Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,
Et les mains en avant pour tâter un décor
— D’ailleurs inexistant. C’est qu’il est égaré ;
Il n’est pas assez mince, il n’est pas assez ample :
Trop de muscles tordus, trop de salive usée.
Le calme reviendra lorsqu’il verra le Temple
De sa forme assurer sa propre éternité.
Raymond Queneau, L’Explication des métaphores, in Les Ziaux, 1920-1943, © Gallimard
Bon dieu de bon dieu que j’ai envie d’écrire un petit poème.
Tiens, en voilà justement un qui passe
Petit petit petit
Viens ici que je t’enfile
sur le collier de mes autres poèmes
Viens ici que je t’entube
dans le comprimé de mes œuvres complètes
Viens ici que je t’enpapouète
Et que je t’enrime
Et que je t’enrythme
Et que je t’enlyre
Et que je t’enpégase
Et que je t’enverse
Et que je t’enprose
La vache
il a foutu le camp
***
Raymond Queneau, L’Instant fatal, 1948
Ce poème sur l’épiphanie vient un peu en retard, mais il vaut le détour, bien qu’il soit quelque peu sanglant… J’en profite pour souhaiter une très bonne année à tous les lecteurs de ce blog !
Sur un trône de paille
un cheval couronné
un âne le fait rire
vêtu comme un jockey
Devinettes aimables
farces du bon vieux temps
écoutez les chansons
les rires des paysans
ils ont tiré les rois
et ils sont bien contents
ils ont tiré le roi
et la reine en même temps
écoutez les chansons
les rires des paysans
le roi la bouche pleine
et le verre à la main
est couché sous la table
et baigne dans son sang
il a le ventre ouvert
un petit baigneur dedans
et le sang est très rouge
et le baigneur tout blanc
Devinettes aimables
farces du bon vieux temps
sur la porte du palais
la reine droite et blême
est soigneusement clouée
ses yeux sont grands ouverts
son regard est très dur
elle est coupée en deux
comme un panaris mûr
Devinettes aimables
farces du bon vieux temps
sur un trône de paille
un cheval couronné
un âne le fait rire
vêtu comme un jockey.
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