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Vous savez le français,
vous divisez,
multipliez,
déclinez à souhait.
Eh bien, déclinez !
Mais dites-moi ─
pouvez-vous
chanter avec une maison ?
comprenez-vous la langue des tramways ?
Le petit de l’homme,
dès qu’il vient au monde ─
tend la main vers les livres,
vers les feuilles de copie.
Mais moi, j’apprenais l’alphabet sur les enseignes,
en en tournant les pages de fer et de tôle.
La terre, on la prend,
on l’émonde,
on la saigne ─
pour l’apprendre.
Ce n’est qu’une toute petite mappemonde.
Mais moi, mes côtes m’enseignaient la géographie,
ce n’est pas pour rien
qu’au sol
je me cognais la nuit.
De graves questions troublent les historiens :
─ Était-elle rousse, la barbe de Barberousse ? ─
Passons !
Je ne fouille pas ces poussières dérisoires.
Je connais à Moscou n’importe quelle histoire !
On prend Dobrolioubov (pour abhorrer le mal), ─
le nom s’y prête mal,
les parents râlent.
Moi,
les gavés,
depuis l’enfance je les hais,
toujours contraint
de me vendre pour dîner.
On s’instruit,
on s’assied ─
pour plaire aux dames,
les petites pensées heurtent leurs fronts d’airain.
Et moi,
je parlais
aux seules maisons.
Seuls les réservoirs d’eau devisaient avec moi.
Tendant attentivement leur lucarne,
les toits guettent ce qu’à l’oreille je leur corne.
Et ensuite,
sur la nuit
et l’un sur l’autre,
ils jabotaient,
tournant leur langue-girouette.
***
Vladimir Maïakovski (1893-1930) – « J’aime » (Ljublju, 1922)
Notre Père qui êtes au cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l’Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Eparpillées
Emerveillées elles-mêmes d’être de telles merveilles
Et qui n’osent se l’avouer
Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.
Ô Atome radioactif !
Ô Atome contenant tout !
Ô Atome Universel –
Oeuvre du Seigneur !
La longue évolution
Parle d’immenses feux d’artifice
Finissant en cendres et flammèches rougeoyantes.
Nous nous tenons sur des poussières,
Devant des soleils mourants,
Tentant de nous souvenir
De la splendeur de nos origines.
Ô Atome Universel –
Oeuvre du Seigneur !
Le Nouveau monde de M. Tompkins, dont ce texte est extrait, est une oeuvre de vulgarisation scientifique à l’origine écrite par George Gamow en 1965, et réécrite en 1999 par Russel Stannard pour l’adapter aux nouvelles théories. M. Tompkins, voulant s’instruire, assiste à des conférences scientifiques. Mais il ne comprend pas grand chose et s’endort… Les théories nous sont alors expliquées à travers ses rêves. C’est très amusant à lire, et il y a même parfois de la poésie, toujours sur un mode assez farfelu.
***
Tableaux : Vassily Kandinsky, Cercles dans un cercle (en haut) et Cercles (en bas)
Ce beau poème m’a été donné en commentaire, et je le recopie ici pour que tout le monde en profite.
Pareil à moi, tu passes
Les yeux rivés au sol,
Je les baissais – aussi,
Passant, arrête-toi!
Boutons-d’or et pavots à la main,
Tu liras sur la pierre
Qu’on m’appelait Marina
Et l’âge que j’avais.
Non, ce n’est pas une tombe,
Je ne surgirai pas, menaçante.
J’ai trop aimé moi-même
Rire quand il ne faut pas.
Le sang frappait à mes tempes
Et mes boucles bouclaient;
Je fus aussi, passant!
Passant, arrête-toi!
Je n’accepte pas l’éternité
Pourquoi m’a-t-on ensevelie?
Je ne voulais pas quitter pour la terre –
Ma terre adorée.
Cueille une herbe sauvage
Et puis une fraise des bois –
Mûrie entre les tombes
Elle sera plus sucrée.
Mais ne te penche pas,
Triste, au-dessus de moi,
Évoque-moi sans peine,
Sans peine oublie-moi!
Comme le rayon t’éclaire
Il te poudroie d’or…
Que ma voix souterraine
Ne t’effarouche pas!
Koktebel, 3 mai 1913, in Le ciel brûle
Les larmes gèlent, Cassandre.
Le coeur humain n’est que cendres.
On dit que les machines s’aiment:
consolation, tout de même.
Nous en avons tous bien besoin.
Elle fait l’objet de tous nos soins.
Comme les yeux humains sont froids
comparés aux machines, tu vois.
Ce que c’est que les illusions!
Moins que les robots nous savons.
Les sentiments sont désormais
suscités à l’électricité.
Le robot muet descend de l’arche,
plein de désir de paternité.
Vous autres: en avant, marche!
Place pour les amants programmés!
Ne coupez donc pas le courant.
Surtout que l’amour ne meure pas.
Les machines s’aiment en tout cas
c’est plus que les hommes, n’est-ce pas?
***
Stig Dagerman (1923-1954) – 27 octobre 1950 – Traduction de Philippe Bouquet
Photo : ENIAC, le premier ordinateur, en 1946
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
– Ah ! moins seul et moins nul ! – je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
À toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
***
Arthur Rimbaud, « Bannières de mai », dans « Fêtes de la patience », mai 1872
Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces… Tout est en un flux perpétuel… Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal. Il n’y a rien de précis en nature… Le ruban du *père Castel… Oui, père Castel, c’est votre ruban et ce n’est que cela. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu ; plus ou moins d’un règne ou d’un autre… Donc rien n’est de l’essence d’un être particulier… Non, sans doute, puisqu’il n’y a aucune qualité dont aucun être ne soit participant… et que c’est le rapport plus ou moins grand de cette qualité qui nous la fait attribuer à un être exclusivement ou à un autre… Et vous parlez d’individus, pauvres philosophes ! laissez là vos individus ; répondez-moi. Y a-t-il un atome en nature rigoureusement semblable à un autre atome ?… Non… Ne convenez-vous pas que tout tient en nature et qu’il est impossible qu’il y ait un vide dans la chaîne ? Que voulez-vous donc dire avec vos individus ? Il n’y en a point, non, il n’y en a point… Il n’y a qu’un seul grand individu, c’est le tout. Dans ce tout, comme dans une machine, dans un animal quelconque, il y a une partie que vous appellerez telle ou telle ; mais quand vous donnerez le nom d’individu à cette partie du tout, c’est par un concept aussi faux que si, dans un oiseau, vous donniez le nom d’individu à l’aile, à une plume de l’aile… Et vous parlez d’essences, pauvres philosophes ! laissez là vos essences. Voyez la masse générale, ou si, pour l’embrasser, vous avec l’imagination trop étroite, voyez votre première origine et votre fin dernière… Qu’est-ce qu’un être ?… La somme d’un certain nombre de tendances… Est-ce que je puis être autre chose qu’une tendance ?… non, je vais à un terme… Et les espèces ? Les espèces ne sont que des tendances à un terme commun qui leur est propre… Et la vie ? La vie une suite d’actions et de réactions… Vivant, j’agis et je réagis en masse… mort, j’agis et je réagis en molécules… Je ne meurs donc point ? Non, sans doute, je ne meurs donc point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit… Naître, vivre et passer, c’est changer de formes… Et qu’importe une forme ou une autre ? Chaque forme a le bonheur qui lui est propre. Depuis l’éléphant jusqu’au puceron… depuis le puceron jusqu’à la molécule sensible et vivante, l’origine de tout, pas un point dans la nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse.
***
Diderot, Le rêve de d’Alembert, 1769, extrait.
*Résumé de la note sur le père Castel : son « ruban » désigne l’instrument dont il est l’inventeur, un « clavecin oculaire » qui jouait des symphonies non de sons mais de couleurs, à l’aide de rubans colorés .
"Nous commencerons par invoquer la Terre. Toi qui es Terre,il faut savoir t'aimer. En toi reposent le grain de nos moissons, et les assises de nos maisons. Dans ton sein, notre fer et notre charbon, dans ton sein, notre vie, éphémère comme les vents, en toi... Toi qui te nommes Terre, tu changes sans répit. Tu nous créas dans les gouttes de ton eau. Nous te transformons et nous nous transformons..." Ainsi parle la page 21. Sélime referma le livre. Comprendre, c'est chanter le premier chant de la liberté. Et Sélime, fils-de-Chabane, chante... *** Nazim Hikmet, Sélime, fils-de-Chabane et son Livre, VI
Pour une lecture du texte par un vieux baroudeur, cliquez ici
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
***
in, « Feuilles de route », 1924
« Notre vie est un voyage
Dans l’hiver et dans la nuit
Nous cherchons notre passage
Dans le Ciel où rien ne luit. »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau, ce sont mes pensées
Et mes pensées sont toutes sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
Et avec les mains et les pieds
Et avec le nez et la bouche.
Penser une fleur c’est la voir et la respirer
Et manger un fruit c’est en savoir le sens.
C’est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
Je me sens triste d’en jouir à ce point,
Et que je m’étends de tout mon long dans l’herbe,
Et que je ferme mes yeux brûlants,
Je sens mon corps entier étendu dans la réalité,
Je connais la vérité et suis heureux.
***
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux
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