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La poésie ? Le temps passe. On a les cheveux gris, du cholestérol, de la barbe et des lunettes. On se console en disant qu’elle, au moins, elle n’a pas changé. Qu’elle est toujours cet enfant impossible, qui a pourtant accepté de vieillir avec nous, pour n’être pas seuls, lui et moi.

Lui et moi, pour finir, nous nous entendons bien car nous avons fait l’un et l’autre le tour de nous – moi mon cercle, lui son cerceau : superposables – et ça roule. A deux temps. Là où je dis noir, il barbouille de bleu car il tient à ses privilèges.

J’ai un peu honte de vous le dire : si vous écartez ma barbe (mais vous n’oserez pas le faire), vous apercevrez ma barboteuse. Et elle est bleue.

***

Extrait du recueil Toujours et jamais, 1982, in Archiviste du vent, 2013, éditions Cherche Midi, ouvrage qui regroupe la majeure partie des poèmes de Paul Vincensini.

J’étais l’autre jour dans une maison où il y avait un cercle de gens de toute espèce : je trouvai la conversation occupée par deux vieilles femmes, qui avaient en vain travaillé tout le matin à se rajeunir. « Il faut avouer, disait une d’entre elles, que les hommes d’aujourd’hui sont bien différents de ceux que nous voyions dans notre jeunesse : ils étaient polis, gracieux, complaisants. Mais, à présent, je les trouve d’une brutalité insupportable. – Tout est changé, dit un homme qui paraissait accablé de goutte. Le temps n’est plus comme il y a quarante ans : tout le monde se portait bien ; on marchait ; on était gai ; on ne demandait qu’à rire et à danser. A présent, tout le monde est d’une tristesse insupportable. »

[…]

Il me semble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des choses que par un retour secret que nous faisons sur nous-mêmes. Je ne suis pas surpris que les Nègres peignent le Diable d’une blancheur éblouissante et leurs Dieux noirs comme du charbon. Que la Vénus de certains peuples ait des mamelles qui lui pendent jusqu’aux cuisses ; et qu’enfin tous les idolâtres aient représenté leurs Dieux avec une figure humaine et leur aient fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que, si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés.

Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui rampent sur un atome, c’est-à-dire la Terre, qui n’est qu’un point de l’Univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d’extravagance avec tant de petitesse.

Montesquieu – Lettres persanes, Lettre LIX – 1721

En fait la peur de la mort est indépendante de toute connaissance ; car l’animal l’éprouve, quoiqu’il ne connaisse pas la mort. Tout ce qui est engendré l’apporte avec soi en ce monde. Mais cette peur a priori de la mort n’est que le revers de la volonté de vivre, dont nous participons tous.
[…]
Or, l’attachement sans bornes à la vie, qui ressort de ces faits, ne peut avoir pris sa source dans la connaissance et la réflexion ; aux yeux de cette dernière il paraît plutôt insensé, car la valeur objective de la vie se présente de façon très incertaine, et il reste pour le moins douteux que la vie soit préférable au non-être ; même, si l’expérience et la réflexion ont voix au chapitre, le non-être devrait gagner la partie. Si l’on frappait aux tombeaux et que l’on demandait aux morts s’ils voudraient revenir au jour, ils secoueraient la tête en signe de refus. Telle est aussi l’opinion de Socrate, dans l’Apologie de Platon, et même l’aimable et enjoué Voltaire ne peut s’empêcher de dire : « on aime la vie, mais le néant ne laisse pas d’avoir du bon », et encore : »je ne sais pas ce que c’est que la vie éternelle, mais celle-ci est une mauvaise plaisanterie ».
[…]
La nature, en revanche, qui ne ment jamais, mais est au contraire sincère et franche, parle de ce sujet de toute autre manière, à savoir comme le fait Krischna dans Bhagavad-Gita. Voici sa sentence : la mort et la vie de l’individu sont dénués de toute importance. Cela elle l’exprime en livrant la vie de chaque animal, et aussi celle de l’homme, aux hasards les plus insignifiants, sans intervenir pour la sauver. – Observez l’insecte qui se trouve sur votre chemin : une légère et inconsciente modification de votre pas décide de sa vie ou de sa mort. Voyez la limace des bois, privéede tout moyen de fuir, de se défendre, de tromper l’ennemi, de se cacher, proie toute prête pour chacun. […] Or, en livrant ainsi ces organismes élaborés avec un art indicible, non seulement à la rapacité du plus fort, mais aussi au hasard le plus aveugle, au caprice de chaque fou, à l’espièglerie de chaque enfant, la nature déclare que l’anéantissement de ces individus lui est indifférent, ne lui nuit pas, ne signifie rien pour elle, et que dans tous les cas, l’effet importe aussi peu que la cause.
[…]
Nous conclurons en ce sens […] comme une sorte de « tour de passe-passe » qui se produirait alors. En effet, que ce qu’il y a de moins parfait, de plus vil, à savoir la substance inorganisée, continue d’exister tranquillement, alors que précisément les êtres les plus parfaits, les êtres vivants, avec leur organisation infiniment compliquée et infiniment ingénieuse, doivent toujours avoir à renaître totalement, puis être réduits à un néant absolu après un court espace de temps, pour faire place encore à des êtres nouveaux, semblables à eux, venus du néant à l’existence, – c’est là une pensée si manifestement absurde qu’elle ne peut, au grand jamais, représenter l’ordre véritable des choses, mais plutôt exactement un voile qui les cache, plus exactement un phénomène conditionné par notre intellect. […] C’est en vérité seulement un patois du pays […].
[…]
Si je tue une bête, que ce soit un chien, un oiseau, une grenouille, ou même seulement un insecte, il est au fond inconcevable que cet être, ou plutôt la force originelle grâce à laquelle un phénomène si digne d’admiration apparaissait, encore à l’instant d’avant, dans la plénitude de son énergie et de sa vitalité, devrait avoir été réduit à néant par mon acte méchant et étourdi. – Et d’autre part, les millions d’animaux de tout genre, qui, à chaque instant, dans leur infinie variété, accèdent à l’existence, pleins de force et de désirs, ne peuvent en aucune façon n’avoir rien été du tout avant l’acte de leur procréation et être parvenus à un commencement absolu à partir du néant.
[…]
Tout cela, c’est la grande leçon d’immortalité que nous donne la nature, désireuse de nous faire comprendre qu’entre le sommeil et la mort il n’y a pas de différence radicale, et que celle-ci ne met pas plus l’existence en danger que celui-là. Le soin avec lequel l’insecte prépare une cellule, ou une fosse, ou un nid, y dépose son oeuf avec de la nourriture pour la larve qui en sortira au printemps, et ensuite meurt paisiblement, ressemble tout à fait au soin avec lequel un homme apprête le soir ses vêtements et son déjeuner pour le matin suivant, et ensuite va tranquillement dormir, et au fond tout cela serait impossible, si l’insecte qui meurt en automne n’était pas en soi et d’après son essence véritable, aussi identique à celui qui éclôt au printemps, que l’homme qui se couche pour dormir à celui qui se lève le lendemain.

***

Arthur Schopenhauer – Métaphysique de la mort (1890, extraits), in Compléments au Monde comme Volonté et comme Représentation, éd. 10/18, trad.  Marianna Simon.

Seigneurs, après avoir raconté des récits de pure imagination, je veux maintenant m’appliquer à rapporter des histoires véridiques, car celui dont le métier est de dire des fables n’est pas un conteur digne de s’adresser à une noble assistance s’il est incapable de relater des choses vraies ou au moins vraisemblables. Celui qui est expert en l’art de conter se doit, entre deux récits d’imagination, de rapporter des aventures vécues.

C’est la vérité pure, vivaient jadis, il y a bien une centaine d’années, deux compagnons qui menaient une fort mauvaise vie, car l’un était si envieux que personne ne l’était plus que lui, et l’autre était si cupide que rien ne pouvait le combler. Ce dernier était sans doute le pire des deux, car la cupidité est de telle nature qu’elle avilit maintes personnes; elle fait prêter à usure et tricher sur les mesures par désir d’en avoir plus. L’envie est aussi exécrable, car elle aiguillonne tout le monde.

Notre envieux et notre cupide chevauchaient un jour de compagnie lorsqu’ils rencontrèrent, je crois, saint Martin dans une campagne. Il ne lui fallut que peu de temps passé en leur compagnie pour s’apercevoir des mauvais penchants qui étaient enracinés au fond de leur coeur. Ils arrivèrent bientôt à une chapelle d’où partaient deux chemins très fréquentés. Saint Martin s’adressa alors aux deux compagnons qui se comportaient de manière si détestable.

« Seigneurs, leur dit-il, à cette chapelle je poursuivrai mon chemin en prenant sur la droite mais vous retirerez bénéfice de m’avoir rencontré. Je suis saint Martin, le prudhomme. Que l’un ou l’autre de vous me demande un don; il aura immédiatement ce qu’il désire et celui qui n’aura pas parlé en aura sur-le-champs deux fois autant. »

Alors le cupide pense en lui-même qu’il laissera parler son compagnon et qu’il en aura deux fois plus que lui. Il convoite ardemment un double gain.

« Demande, fait-il, cher compagnon. Tu obtiendras à coup sûr tout ce qu’il te viendra à l’esprit de demander. N’hésite pas à demander largement: si tu sais te débrouiller pour faire un bon souhait, tu seras riche toute ta vie! »

Celui qui avit le coeur plein d’envie n’avait pas l’intention de demander ce qu’il aurait voulu, car il serait mort d’envie et de rage si l’autre en avait eu plus que lui. Aussi restèrent-ils tous les deux un bon moment sans prononcer une parole.

« Qu’attends-tu? Qu’il ne t’en arrive malheur? fait celui qui était plein de cupidité. J’en aurai le double de toi et personne ne m’en empêchera. Demande vite ou je te battrai comme jamais âne ne le fut au Pont! »

« Sire, répond l’envieux, sachez-le, je vais demander un don avant que vous ne me fassiez mal. Si je demandais de l’argent ou quelques bien, vous en voudriez bien avoir deux fois plus. Mais si je peux, vous n’en aurez aucun bénéfice! Saint Martin, dit-il, je vous demande de perdre un oeil et que mon compagnon en perde deux: ainsi il sera doublement puni! »

Le cupide eut les yeux crevés sur-le-champs. Saint Martin tint parfaitement sa promesse: sur quatre yeux, ils en perdirent trois, ils n’en retirèrent pas autre chose. Saint Martin rendit l’un borgne et l’autre aveugle: par la faute de leurs souhaits, tous les deux y perdirent. Maudit soit celui qui s’en afflige, car ces deux hommes étaient de mauvaises gens.

C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis, s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin, venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve, la visière brillait.

***

Flaubert, Madame Bovary, 1857

Si j’ai encore un conseil à vous donner, mon ange, c’est de ne pas plus tenir à vos opinions qu’à vos paroles. Quand on vous les demandera, vendez-les. Un homme qui se vante de ne jamais changer d’opinion est un homme qui se charge d’aller toujours en ligne droite, un niais qui croit à l’infaillibilité. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les événements et les circonstances pour les conduire. S’il y avait des principes et des lois fixes les peuples n’en changeraient pas comme nous changeons de chemises. L’homme n’est pas tenu d’être plus sage que toute une nation. L’homme qui a rendu le moins de services à la France est un fétiche vénéré pour avoir toujours vu en rouge, il est tout au plus bon à mettre au Conservatoire, parmi les machines, en l’étiquetant La Fayette ; tandis que le prince auquel chacun lance sa pierre, et qui méprise assez l’humanité pour lui cracher au visage autant de serments qu’elle en demande, a empêché le partage de la France au congrès de Vienne : on lui doit des couronnes. on lui jette de la boue. Oh ! je connais les affaires, moi ! J’ai les secrets de bien des hommes ! Suffit. J’aurai une opinion inébranlable le jour où j’aurai rencontré trois têtes d’accord sur l’emploi d’un principe, et j’attendrai longtemps ! L’on ne trouve pas dans les tribunaux trois juges qui aient le même avis sur un article de loi.

Le Père Goriot, Balzac, 1835 – Illustration d’époque : le personnage de Vautrin

L’action se passe au début du XIVème siècle. Discussion animée entre Ubertin de Casale et Guillaume de Baskerville, anciens inquisiteurs : le premier prétend qu’un certain Bentivenga a par le passé commis des crimes atroces qu’il aurait avoué sous la torture ; le second donne alors une opinion intéressante sur ce genre d’aveu :

– Il n’est qu’une seule chose qui excite les animaux plus que le plaisir, et c’est la douleur. Sous l’effet de la torture tu vis comme sous l’empire d’herbes qui donnent des visions. Tout ce que tu as entendu raconter, tout ce que tu as lu, te revient à l’esprit, comme si tu étais transporté, non pas vers le ciel, mais vers l’enfer. Sous la torture tu dis non seulement ce que veut l’inquisiteur, mais aussi ce que tu imagines qui peut lui être agréable, parce qu’il s’établit un lien – certes, vraiment diabolique ce lien-là – entre toi et lui… Je connais tout cela, Ubertin, j’ai fait partie moi aussi de ces groupes d’hommes qui croient produire la vérité avec le fer incandescent. Eh bien, sache-le, l’incandescence de la vérité est d’une autre flamme. Sous la torture, Bentivenga peut avoir dit les mensonges les plus absurdes, parce que ce n’était plus lui qui parlait, mais sa luxure, les démons de son âme.

– Sa luxure ?

– Oui, il y a une luxure de la douleur, comme il y a une luxure de l’adoration et même une luxure de l’humilité.

***

Extrait : Eco, Le Nom de la Rose, 1980, Le Livre de poche, « premier jour », « sexte », p. 69

Illustration : Sean Connery (Guillaume de Baskerville) et Christian Slater (Adso de Melk) dans Le Nom de la Rose, Jean-Jacques Annaud, 1986

CLEANTHE

Que dites-vous donc de la matière ?

AUTOMONOPHILE

Que la matière n’existe pas.

CLEANTHE

Quoi ? Prétendez-vous vous en tirer par une absurdité pareille ?

AUTOMONOPHILE

Dites-moi, quand êtes-vous en droit de dire qu’une chose est ?

CLEANTHE

Quand je la perçois.

AUTOMONOPHILE

C’est bien ce que je voulais vous faire accorder. Ce qui est, c’est ce que je vois, je touche ou j’entends, ou ce que je me souviens d’avoir vu, touché, entendu, mais rien d’autre. Ce que nous appelons le monde est la somme de nos sensations. Nous ne connaissons pas le monde lui-même, en lui-même, nous avons chacun un monde senti.

CLEANTHE

Voudriez-vous dire que personne ne sent le même monde ? Que chacun a un monde différent ?

AUTOMONOPHILE

Exactement. Voyons-nous identiquement ? Sentons-nous identiquement ? Tel a la langue goûteuse, tel un nez particulièrement savoureux, tel une sensibilité exquise au bout des doigts, et tel entendrait une mouche éternuer.

CLEANTHE

Cela est vrai.

AUTOMONOPHILE

Il y a donc autant de mondes que de particuliers.

[…]

CLEANTHE

Mais si les sensations ne sont pas l’empreinte d’objets extérieurs, que sont-elles dès lors ? Quelle est leur origine ?

AUTOMONOPHILE

Moi.

CLEANTHE

Comment ?

AUTOMONOPHILE

Si, si, vous n’en croyez pas vos oreilles, mais vous m’avez bien entendu. Je suis moi-même l’origine de mes sensations.

CLEANTHE

Vous ? L’auteur du monde ?

AUTOMONOPHILE

Moi-même. Ce monde, fait de couleurs, d’objets, d’odeurs, c’est moi qui en suis le créateur.

CLEANTHE

Mon ami, adieu. L’entretien n’a duré que trop longtemps. Comment pouvez-vous dire que c’est votre esprit qui produit lui-même, pour lui-même, ses sensations ?

AUTOMONOPHILE

Quand vous rêvez, n’êtes-vous pas l’auteur de votre rêve ? Lorsque vous vous voyez en train de voguer sur la mer, cap sur les Amériques, les vagues sont-elles autre chose que le produit de votre imagination ?

CLEANTHE

Naturellement, puisqu’il s’agit d’un rêve.

AUTOMONOPHILE

Qui vous l’apprend ?

CLEANTHE

Le réveil.

AUTOMONOPHILE

Et si vous alliez vous réveillez de la vie ?

CLEANTHE

Allons ! …

Photo : Ben, J’ai rêvé 1985
Acrylique sur bois, collage d’objets et lit, 250 x 750 x180 cm
Galerie Baudoin Lebon, Fiac 1991
Collection Frac Paca
Photographie Frac/André Morain

[…] Vendredi savait depuis longtemps assez d’anglais pour comprendre les ordres que lui donnait Robinson et nommer tous les objets utiles qui l’entouraient.
Un jour cependant, Vendredi montra à Robinson une tache blanche qui palpitait dans l’herbe, et il lui dit :
– Marguerite.
– Oui, répondit Robinson, c’est une marguerite.
Mais à peine avait-il prononcé ces mots que la marguerite battait des ailes et s’envolait.
– Tu vois, dit-il aussitôt, nous nous sommes trompés. Ce n’était pas une marguerite, c’était un papillon.
– Un papillon blanc, rétorqua Vendredi, c’est une marguerite qui vole.
Avant la catastrophe, quand il était maître de l’île et de Vendredi, Robinson se serait fâché. Il aurait obligé vendredi à reconnaître qu’une fleur est une fleur et un papillon un papillon. Mais là, il se tut et réfléchit.
Plus tard, Vendredi et lui se promenaient sur la plage. Le ciel était bleu, sans nuages, mais comme il était encore très matin, on voyait le disque blanc de la lune à l’ouest. Vendredi qui ramassait des coquillages montra à Robinson un petit galet qui faisait une tache blanche et ronde sur le sable pur et propre. Alors, il leva la main vers la lune et dit à Robinson :
– Ecoute-moi. Est-ce la lune qui est le galet du ciel ou est–ce ce petit galet qui est la lune du sable ?
Puis il y eut une période de mauvais temps. Des nuages noirs s’amoncelèrent au-dessus de l’île, et bientôt la pluie se mit à crépiter sur les feuillages, à faire jaillir des milliards de petits champignons à la surface de la mer, à ruisseler sur les rochers. Vendredi et Robinson s’étaient abrités sous un arbre. Vendredi s’échappa soudain et s’exposa à la douche. Il renversait son visage en arrière et laissait l’eau couler sur ses joues. Il s’approcha de Robinson.
– Regarde, lui dit-il, les choses sont tristes, elles pleurent. Les arbres pleurent, les rochers pleurent, les nuages pleurent, et moi, je pleure avec eux. Ouh, ouh, ouh ! La pluie, c’est le grand chagrin de l’île et de tout…
Robinson commençait à comprendre. Il acceptait peu à peu que les choses les plus éloignées les unes des autres – comme la lune et un galet – puissent se ressembler au point d’être confondues, et que les mots volent d’une chose à une autre, même si cela devait un peu embrouiller les idées.

  C’est ainsi que l’on nomme les protestants français que la révocation de l’Edit de Nantes a forcés de sortir de France, et de chercher un asile dans les pays étrangers, afin de se soustraire aux persécutions qu’un zèle aveugle et inconsidéré leur faisait éprouver dans leur patrie. Depuis ce temps, la France s’est vue privée d’un grand nombre de citoyens qui ont porté à ses ennemis des arts, des talents et des ressources dont ils ont souvent usé contre elle. Il n’est point de bon Français qui ne gémisse depuis longtemps de la plaie profonde causée au royaume par la perte de tant de sujets utiles. Cependant, à la honte de notre siècle, il s’est trouvé de nos jours des hommes assez aveugles ou assez impudents pour justifier aux yeux de la politique et de la raison la plus funeste démarche qu’ait jamais pu entreprendre le conseil d’un souverain. Louis XIV, en persécutant les protestants, a privé son royaume de près d’un million d’hommes industrieux qu’il a sacrifiés aux vues intéressées et ambitieuses de quelques mauvais citoyens qui sont les ennemis de toute liberté de penser, parce qu’ils ne peuvent régner qu’à l’ombre de l’ignorance. L’esprit persécuteur devrait être réprimé par tout gouvernement éclairé: si l’on punissait les perturbateurs qui veulent sans cesse troubler les consciences de leurs concitoyens lorsqu’ils différent dans leurs opinions, on verrait toutes les sectes vivre dans une parfaite harmonie et fournir à l’envi des citoyens utiles à la patrie et fidèles à leur prince.
Quelle idée prendre de l’humanité et de la religion des partisans de l’intolérance? Ceux qui croient que la violence peut ébranler la foi des autres donnent une opinion bien méprisable de leurs sentiments et de leur propre constance.

***

Encyclopédie, « Réfugiés », auteur anonyme, 1772

Ce que j’écris :

La phrase qui tue :

Peu m'importe.
Peu m'importe quoi ? Je ne sais 
pas ; peu m'importe.
                    Fernando Pessoa

Classement par auteurs

Haïku !!!

Sans savoir pourquoi
                     j'aime ce monde
   où nous venons mourir___

                 Natsume Sôseki

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