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« Je ne suis rien.
Ne serai jamais rien.
Ne puis vouloir qu’être rien.
A part ça, je possède en moi tous les songes du monde. »
(Alvaro de Campos, exergue à Le bureau de tabac, 15 janvier 1928)
Qu’est-ce pour nous, mon cœur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre ; et l’Aquilon encor sur les débris
Et toute vengeance ? Rien !… — Mais si, toute encor,
Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats,
Périssez ! puissance, justice, histoire, à bas !
Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d’or !
Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,
Mon esprit ! Tournons dans la Morsure : Ah ! passez,
Républiques de ce monde ! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez !
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
À nous ! Romanesques amis : ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !
Europe, Asie, Amérique, disparaissez.
Notre marche vengeresse a tout occupé,
Cités et campagnes ! — Nous serons écrasés !
Les volcans sauteront ! et l’océan frappé…
Oh ! mes amis ! — mon cœur, c’est sûr, ils sont des frères :
Noirs inconnus, si nous allions ! allons ! allons !
Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond,
Ce n’est rien ! j’y suis ! j’y suis toujours.
***
Photo : Richard Lam – Le Baiser de Vancouver. La photo a été prise pendant des émeutes, sans mise en scène.
CLEANTHE
Que dites-vous donc de la matière ?
AUTOMONOPHILE
Que la matière n’existe pas.
CLEANTHE
Quoi ? Prétendez-vous vous en tirer par une absurdité pareille ?
AUTOMONOPHILE
Dites-moi, quand êtes-vous en droit de dire qu’une chose est ?
CLEANTHE
Quand je la perçois.
AUTOMONOPHILE
C’est bien ce que je voulais vous faire accorder. Ce qui est, c’est ce que je vois, je touche ou j’entends, ou ce que je me souviens d’avoir vu, touché, entendu, mais rien d’autre. Ce que nous appelons le monde est la somme de nos sensations. Nous ne connaissons pas le monde lui-même, en lui-même, nous avons chacun un monde senti.
CLEANTHE
Voudriez-vous dire que personne ne sent le même monde ? Que chacun a un monde différent ?
AUTOMONOPHILE
Exactement. Voyons-nous identiquement ? Sentons-nous identiquement ? Tel a la langue goûteuse, tel un nez particulièrement savoureux, tel une sensibilité exquise au bout des doigts, et tel entendrait une mouche éternuer.
CLEANTHE
Cela est vrai.
AUTOMONOPHILE
Il y a donc autant de mondes que de particuliers.
[…]
CLEANTHE
Mais si les sensations ne sont pas l’empreinte d’objets extérieurs, que sont-elles dès lors ? Quelle est leur origine ?
AUTOMONOPHILE
Moi.
CLEANTHE
Comment ?
AUTOMONOPHILE
Si, si, vous n’en croyez pas vos oreilles, mais vous m’avez bien entendu. Je suis moi-même l’origine de mes sensations.
CLEANTHE
Vous ? L’auteur du monde ?
AUTOMONOPHILE
Moi-même. Ce monde, fait de couleurs, d’objets, d’odeurs, c’est moi qui en suis le créateur.
CLEANTHE
Mon ami, adieu. L’entretien n’a duré que trop longtemps. Comment pouvez-vous dire que c’est votre esprit qui produit lui-même, pour lui-même, ses sensations ?
AUTOMONOPHILE
Quand vous rêvez, n’êtes-vous pas l’auteur de votre rêve ? Lorsque vous vous voyez en train de voguer sur la mer, cap sur les Amériques, les vagues sont-elles autre chose que le produit de votre imagination ?
CLEANTHE
Naturellement, puisqu’il s’agit d’un rêve.
AUTOMONOPHILE
Qui vous l’apprend ?
CLEANTHE
Le réveil.
AUTOMONOPHILE
Et si vous alliez vous réveillez de la vie ?
CLEANTHE
Allons ! …
Photo : Ben, J’ai rêvé 1985
Acrylique sur bois, collage d’objets et lit, 250 x 750 x180 cm
Galerie Baudoin Lebon, Fiac 1991
Collection Frac Paca
Photographie Frac/André Morain
Regardez cet animal à l’intérieur de la cage que vous lui avez fabriquée :
Êtes-vous certain de savoir de quel côté vous vous trouvez ?
Vous feriez mieux de ne pas le regarder dans les yeux de trop près :
Êtes-vous certain de savoir de quel côté du miroir vous vous trouvez ?
Regardez la vie saine et sûre que vous vous êtes créée :
Tout est exactement à sa place.
Ressentez-vous cette vanité qui est au fond de votre coeur ?
Tout est
Exactement à sa place.
Et si tout ce qui vous entoure
N’était pas vraiment comme vous l’imaginez ?
Et si tout ce que vous pensez connaître du monde
N’était qu’un rêve très détaillé ?
Si vous jetez un oeil à votre propre reflet
Est-ce là tout ce que vous en attendez ?
Et si vous pouviez regardez à travers les fissures
Ne vous retrouveriez-vous pas, vous-même,
Ne vous retrouveriez-vous pas, vous-même, effrayé par ce que vous y verriez ?
Et si le monde entier était à l’intérieur de votre tête
Tout simplement créé par votre esprit,
Vos démons et vos dieux,
Tout ce qui est vivant et mort,
Et qu’en réalité, vous étiez complètement seul ?
Vous pourriez vivre dans cette illusion,
Vous êtes libre d’y croire,
Vous persistez à vouloir y voir clair, mais ne pouvez pas voir les bois
Si vous restez caché au milieu des arbres de la forêt.
***
See the animal in his cage that you built
Are you sure what side you’re on?
Better not look him too closely in the eye
Are you sure what side of the glass you are on?
See the safety of the life you have built
Everything where it belongs
Feel the hollowness inside of your heart
And it’s all
Right where it belongs
What if everything around you
Isn’t quite as it seems?
What if all the world you think you know
Is an elaborate dream?
And if you look at your reflection
Is it all you want it to be?
What if you could look right through the cracks?
Would you find yourself
Find yourself afraid to see?
What if all the world’s inside of your head
Just creations of your own?
Your devils and your gods
All the living and the dead
And you’re really all alone?
You can live in this illusion
You can choose to believe
You keep looking but you can’t find the woods
While you’re hiding in the trees
***
Trent Reznor, Nine Inch Nails, album « With Teeth », 2001 – traduction maison.
Erase Una Vez un lobito bueno al que maltrataban todos los corderos ….. Y había también …. Todas estas cosas |
Il était une fois un gentil louveteau qui était maltraité par tous les moutons. …. Et il y avait aussi …. Toutes ces personnes |
Un jour
Il y aura autre chose que le jour
Une chose plus franche, que l’on appellera le Jodel
Une encore, translucide comme l’arcanson
Que l’on s’enchâssera dans l’oeil d’un geste élégant
Il y aura l’auraille, plus cruel
Le volutin, plus dégagé
Le comble, moins sempiternel
Le baouf, toujours enneigé
Il y aura le chalamondre
L’ivrunini, le baroïque
Et tout un planté d’analognes
Les heures seront différentes
Pas pareilles, sans résultat
Inutile de fixer maintenant
Le détail précis de tout ça
Une certitude subsiste : un jour
Il y aura autre chose que le jour.
***
Boris Vian, Je voudrais pas crever, 1962, publication posthume
Tableau : Vladimir Kush, Arrivée du bateau fleuri
Je crois que pour saisir une partie du sens de ce poème, il faut essayer de le lire à haute voix en respectant la ponctuation et la versification : pauses seulement après points et virgules ; pas de pause à la rime et à la césure (après la 6e syllabe pour les alexandrins) s’il n’y en a pas, mais accent d’intensité ou allongement du son vocalique ; quand une virgule est précédée d’un e muet et suivie d’une consonne, manque de chance, on ne peut pas reprendre son souffle, car on ne peut marquer la virgule et prononcer le e muet qu’en allongeant la voyelle précédente (ex : v4 Mooooon-teu-co-meu-dan…). Normalement, à la fin de ce poème, vous devriez devenir tout bleu, avec une voix de macchabée…
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme soeur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton oeil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur!
– Vers l’Azur attendri d’octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie,
Et laisse sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Jean Paul est un romantique allemand entre autres connu pour ses récits de rêves. Dans celui-là, le narrateur se retrouve au milieu d’un cimetière, la nuit, à l’heure où « les morts se lèvent dans les églises et parodient les services divins qu’y célèbrent les vivants ». Je précise quand même que Jean Paul est tout sauf un auteur athée… Ce texte est supposé fiche la trouille aux sceptiques, et prouver que sans Dieu, le monde basculerait dans le néant.
Alors descendit d’en haut sur l’autel une figure noble, élevée, pleine d’une impérissable douleur ; et tous les morts s’écrièrent : Christ, n’y a-t-il point de Dieu ? Il répondit : Il n’y en a pas.
Toutes les ombres de ces morts se prirent à trembler, et ce n’était pas seulement leur poitrine qui palpitait, c’était elles tout entières ; et elles commencèrent l’une après l’autre à se dissoudre de terreur.
Le Christ continua : J’ai parcouru les mondes, je suis monté dans les soleils, j’ai traversé les déserts lactés du ciel : mais il n’y a point de Dieu. Je suis descendu aussi bas, aussi loin que l’existence peut jeter son ombre ; j’ai regardé dans l’abîme, et je me suis écrié : Père, où es-tu ? Mais je n’ai entendu que l’éternel orage que personne ne gouverne, et un arc-en-ciel étrange, qui ne devait point sa naissance au soleil, se courbait sur l’abîme et y dégouttait en pluie. Dans ce monde incommensurable, je cherchais l’œil de Dieu, et je n’ai vu qu’un orbite vide, noir, sans corps. L’éternité reposait sur le chaos, et le rongeait, et se dévorait elle-même. Criez, discordantes tempêtes ; ombres, criez ; car Il n’est pas.
Les ombres décolorées s’évanouirent, comme ces vapeurs blanchâtres, condensées par le froid, disparaissent sous une tiède haleine, et tout fut vide. Alors, spectacle affreux pour le cœur ! alors accoururent dans le temple les enfants morts qui s’étaient éveillés dans le cimetière ; et ils se prosternèrent devant la figure majestueuse, qui était sur l’autel et ils dirent : Jésus, n’avons-nous pas de père ? et il répondit avec des flots de larmes : Nous sommes tous orphelins, vous et moi ; nous n’avons pas de père.
Alors des vents plus aigus sifflèrent : les murailles ébranlées du temple se poussèrent l’une sur l’autre ; le temple s’écroula sur les enfants ; la terre et le soleil s’engloutirent, et tout l’édifice du monde s’abîma devant moi dans son immensité.
***
Jean Paul (1763-1825), in Choix de rêves, éd° Corti.
gravure : Albrecht Dürer, La Chute des étoiles, 1497
Nos souvenirs connaissent trois périodes.
Dans la première, tout est comme hier,
l’âme se plaît sous leurs voûtes bénies,
le corps se plaît dans leur ombre propice
le rire vit encore, les larmes coulent,
la tache d’encre est encore sur la table –
et ce baiser comme un sceau sur le cœur,
unique inoubliable, baiser d’adieu…
Mais cette période n’est pas très longue.
Au lieu de voûtes bénies, une maison
solitaire dans un lointain faubourg,
où il fait froid l’hiver et chaud l’été,
où la poussière et l’araignée s’étalent,
où les lettres brûlantes en cendres tombent
et les portraits s’altèrent en cachette.
On y va comme on va sur les tombes,
en rentrant on se lave les mains,
en essuyant une larme fugace
des yeux lassés, avec un lourd soupir…
Mais l’horloge tictaque, les printemps
se suivent sans répit, le ciel rosit ;
le nom des villes eux-mêmes changent, et
s’en vont les témoins des événements.
Qui va pleurer, qui va se souvenir
et lentement nous abandonnent les ombres
que nous n’appelons plus, dont le retour
nous aurait même été effrayant.
Soudain éveillés, nous constatons que nous avons oublié jusqu’au chemin
de cette maison. Étouffant de honte,
nous y courons, mais (comme dans tous les rêves)
tout a changé : êtres, choses, murs –
Nous sommes étrangers. On nous ignore ;
Ailleurs, nous sommes ailleurs… seigneur Dieu !
Puis vient le plus terrible : nous voyons
que nous ne pourrions mettre ce passé
dans notre vie présente, et qu’il est
devenu aussi étranger pour nous
que pour notre voisin de palier ; que
nous ne saurions reconnaître nos morts
et que ceux dont le sort nous sépara
s’en accommodent parfaitement. Et même
que tout est pour le mieux…
***
Anna Akhmatova, « Quatrième élégie », in Elégies du Nord, Course du temps, 1945
Tableau : Van Gogh, « Pêchers en fleurs, souvenir de Mauves », 1888
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