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Un jour par an on devrait faire semblant
que la mort aille s’inscrire au chômage,
que nul ne puisse plus perdre son courage,
que personne ne soit tué pour quelques francs.
Les catastrophes dormiraient calmement,
à leur hôtel, jusques au lendemain.
Nul sur son frère ne porterait la main,
nul ne quitterait ce monde volontairement.
Plus d’incendies, plus aucun enterrement,
les assassins eux-mêmes feraient la grève.
Vous pensez sûrement: ce n’est qu’un rêve.
Moi, je dis seulement: faisons semblant.
***
Stig Dagerman (1923-1954) – 23 février 1954
Poème trouvé là
Ni entendre une voix de l’au-delà.
Ni mettre dans le tissu des lignes
…………………………….la chose ineffable.
Ni ciseler la rime avec le soin d’un orfèvre.
Ni belles paroles, ni verbe profond…
Ce soir, Dieu soit loué,
………………..je suis au-dessus
……………………………bien au-dessus de tout cela.
…
Nâzim Hikmet, Il neige dans la nuit et autres poèmes, Poésie / Gallimard.
Les reflets délicats des sapins reposaient à la surface de l’étang transparent.
*
Il y avait huit écrevisses en train de dévorer une lamproie de mer morte au fond de l’étang.
*
Les écrevisses étaient d’un rouge intense.
La lamproie de mer était d’un bleu éclatant.
Un courant dans l’étang faisait aller et venir lentement la lamproie de mer.
On aurait dit que les écrevisse »s mangeaient la lamproie de mer vivante.
*
« Madge, j’ai crié, Viens voir ! »
« Quoi? »
« Viens voir! »
Elle s’est levée de la grosse pierre où elle était assise et me regardait pêcher.
« Viens voir! »
« J’arrive! » Elle s’est mise à courir le long du ruisseau en ma direction.
*
« Regarde », j’ai dit en montrant du doigt le fond de l’étang.
« C’est quoi a dit Madge, un serpent ? »
« C’est une lamproie de mer. »
« On dirait un énorme serpent. Ohhhh! » elle a dit. « Ils la mangent vivante. »
« Non, elle est morte. »
*
« Oh, c’est horrible, dit Marge, absolument horrible. »
« Ouais. »
« C’est horrible, elle a dit, je peux pas voir ça. »
« Moi non plus. »
« Je peux pas voir ça. »
*
On a rien dit d’autre pendant un moment.
On est juste restés là, à regarder les écrevisses dévorer la lamproie de mer.
Richard Brautigan, Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus, éd° le Castor Astral, traduit de l’américain pat Thierry Beauchamp et Romain Rabier, 2003 (publication posthume).
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Voici, mes zinfints
Sans en avoir l’air
Le plus beau vers
De la langue française.
Ai, eu, ai, in
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin…
Le poite aurait pu dire
Tout à son aise :
« Le geai volumineux picorait des pois fins »
Eh bien ! non, mes zinfints.
Le poite qui a du génie
Jusque dans son délire
D’une main moite
A écrit :
« C’était l’heure divine où, sous le ciel gamin,
LE GEAI GÉLATINEUX GEIGNAIT DANS LE JASMIN.»
Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji.
Là, le geai est agi
Par le génie du poite
Du poite qui s’identifie
À l’oiseau sorti de son nid
Sorti de sa ouate.
Quel galop !
Quel train dans le soupir !
Quel élan souterrain !
Quand vous serez grinds
Mes zinfints
Et que vous aurez une petite amie anglaise
Vous pourrez murmurer
À son oreille dénaturée
Ce vers, le plus beau de la langue française
Et qui vient tout droit du gallo-romain :
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Admirez comme
voyelles et consonnes sont étroitement liées
les zunes zappuyant les zuns de leurs zailes.
Admirez aussi, mes zinfints,
Ces gé à vif
Ces gé sans fin
Tous ces gé zingénus qui sonnent comme un glas :
Le geai géla… « Blaise ! Trois heures de retenue.
Motif : Tape le rythme avec son soulier froid
Sur la tête nue de son voisin.
Me copierez cent fois :
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin. »
René de Obaldia, extrait de Innocentines, 1969
Bureau de Tabac
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
Ô des fourmis défilent sur mes bras ivres
et elles abandonnent Van Gogh dans un champ de maïs
et ôtent la vie au monde avec un
fusil de chasse,
et défilent sur mes bras ivres
et elles poussent Rimbaud
à trafiquer des armes et à chercher de l’or
sous les rochers,
Ô des fourmis défilent sur mes bras ivres,
elles ont envoyé Pound à l’asile
et ont poussé Crane à se jeter à la mer
en pyjama,
des fourmis, des fourmis défilent sur mes bras ivres
alors que nos écoliers scandent le nom de Willie Mays
plutôt que celui de Bach,
des fourmis défilent sur mes bras ivres
à travers mon verre j’essaie d’attraper
des planches de surf, des lavabos, des tournesols
et la machine à écrire tombe de la table
comme une attaque cardiaque
ou un taureau mort du dimanche,
et les fourmis entrent dans ma bouche
et dans ma gorge,
je les fais passer avec du vin
et remonte les stores
elles sont sur le grillage de la fenêtre
et sur les rues
escaladent les clochers des églises
et les chapes des pneus
cherchant quelque chose d’autre
à manger.
In Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, éd. du Rocher, 2011.
L’été et notre vie étions d’un seul tenant
La campagne mangeait la couleur de ta robe odorante
Avidité et contrainte s’étaient réconciliées
Le château de Maubec s’enfonçait dans l’argile
Bientôt s’effondrerait le roulis de sa lyre
La violence des plantes nous faisait vaciller
Un corbeau rameur sombre déviant de l’escadre
Sur le muet silex de midi écartelé
Accompagnait notre entente aux mouvements tendres
La faucille partout devait se reposer
Notre rareté commençait un règne
(Le vent insomnieux qui nous ride la paupière
En tournant chaque nuit la page consentie
Veut que chaque part de toi que je retienne
Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)
C’était au début d’adorables années
La terre nous aimait un peu je me souviens.
***
René CHAR, 1967, Fureur et mystère
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