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J’étais l’autre jour dans une maison où il y avait un cercle de gens de toute espèce : je trouvai la conversation occupée par deux vieilles femmes, qui avaient en vain travaillé tout le matin à se rajeunir. « Il faut avouer, disait une d’entre elles, que les hommes d’aujourd’hui sont bien différents de ceux que nous voyions dans notre jeunesse : ils étaient polis, gracieux, complaisants. Mais, à présent, je les trouve d’une brutalité insupportable. – Tout est changé, dit un homme qui paraissait accablé de goutte. Le temps n’est plus comme il y a quarante ans : tout le monde se portait bien ; on marchait ; on était gai ; on ne demandait qu’à rire et à danser. A présent, tout le monde est d’une tristesse insupportable. »

[…]

Il me semble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des choses que par un retour secret que nous faisons sur nous-mêmes. Je ne suis pas surpris que les Nègres peignent le Diable d’une blancheur éblouissante et leurs Dieux noirs comme du charbon. Que la Vénus de certains peuples ait des mamelles qui lui pendent jusqu’aux cuisses ; et qu’enfin tous les idolâtres aient représenté leurs Dieux avec une figure humaine et leur aient fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que, si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés.

Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui rampent sur un atome, c’est-à-dire la Terre, qui n’est qu’un point de l’Univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d’extravagance avec tant de petitesse.

Montesquieu – Lettres persanes, Lettre LIX – 1721

Une petite fable sur les boucs émissaires, qui reste toujours d’actualité et qu’on peut, du moins à ce qu’il me semble, dédier à Jérôme Kerviel…

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
A chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J’ai dévoré force moutons.
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d’honneur.
Et quant au Berger l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire. »
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Ane vint à son tour et dit : « J’ai souvenance
Qu’en un pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net. »
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

***

Illustration d’AurélIO

En montagne, le plus court chemin va de sommet en sommet : mais tu dois avoir de longues jambes si tu veux l’emprunter. Il faut que les sentences soient des sommets : et ceux à qui l’on parle, gens de haute taille et d’allure élancée.

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, partie 1, ch. « de la lecture et de l’écriture »

En fait la peur de la mort est indépendante de toute connaissance ; car l’animal l’éprouve, quoiqu’il ne connaisse pas la mort. Tout ce qui est engendré l’apporte avec soi en ce monde. Mais cette peur a priori de la mort n’est que le revers de la volonté de vivre, dont nous participons tous.
[…]
Or, l’attachement sans bornes à la vie, qui ressort de ces faits, ne peut avoir pris sa source dans la connaissance et la réflexion ; aux yeux de cette dernière il paraît plutôt insensé, car la valeur objective de la vie se présente de façon très incertaine, et il reste pour le moins douteux que la vie soit préférable au non-être ; même, si l’expérience et la réflexion ont voix au chapitre, le non-être devrait gagner la partie. Si l’on frappait aux tombeaux et que l’on demandait aux morts s’ils voudraient revenir au jour, ils secoueraient la tête en signe de refus. Telle est aussi l’opinion de Socrate, dans l’Apologie de Platon, et même l’aimable et enjoué Voltaire ne peut s’empêcher de dire : « on aime la vie, mais le néant ne laisse pas d’avoir du bon », et encore : »je ne sais pas ce que c’est que la vie éternelle, mais celle-ci est une mauvaise plaisanterie ».
[…]
La nature, en revanche, qui ne ment jamais, mais est au contraire sincère et franche, parle de ce sujet de toute autre manière, à savoir comme le fait Krischna dans Bhagavad-Gita. Voici sa sentence : la mort et la vie de l’individu sont dénués de toute importance. Cela elle l’exprime en livrant la vie de chaque animal, et aussi celle de l’homme, aux hasards les plus insignifiants, sans intervenir pour la sauver. – Observez l’insecte qui se trouve sur votre chemin : une légère et inconsciente modification de votre pas décide de sa vie ou de sa mort. Voyez la limace des bois, privéede tout moyen de fuir, de se défendre, de tromper l’ennemi, de se cacher, proie toute prête pour chacun. […] Or, en livrant ainsi ces organismes élaborés avec un art indicible, non seulement à la rapacité du plus fort, mais aussi au hasard le plus aveugle, au caprice de chaque fou, à l’espièglerie de chaque enfant, la nature déclare que l’anéantissement de ces individus lui est indifférent, ne lui nuit pas, ne signifie rien pour elle, et que dans tous les cas, l’effet importe aussi peu que la cause.
[…]
Nous conclurons en ce sens […] comme une sorte de « tour de passe-passe » qui se produirait alors. En effet, que ce qu’il y a de moins parfait, de plus vil, à savoir la substance inorganisée, continue d’exister tranquillement, alors que précisément les êtres les plus parfaits, les êtres vivants, avec leur organisation infiniment compliquée et infiniment ingénieuse, doivent toujours avoir à renaître totalement, puis être réduits à un néant absolu après un court espace de temps, pour faire place encore à des êtres nouveaux, semblables à eux, venus du néant à l’existence, – c’est là une pensée si manifestement absurde qu’elle ne peut, au grand jamais, représenter l’ordre véritable des choses, mais plutôt exactement un voile qui les cache, plus exactement un phénomène conditionné par notre intellect. […] C’est en vérité seulement un patois du pays […].
[…]
Si je tue une bête, que ce soit un chien, un oiseau, une grenouille, ou même seulement un insecte, il est au fond inconcevable que cet être, ou plutôt la force originelle grâce à laquelle un phénomène si digne d’admiration apparaissait, encore à l’instant d’avant, dans la plénitude de son énergie et de sa vitalité, devrait avoir été réduit à néant par mon acte méchant et étourdi. – Et d’autre part, les millions d’animaux de tout genre, qui, à chaque instant, dans leur infinie variété, accèdent à l’existence, pleins de force et de désirs, ne peuvent en aucune façon n’avoir rien été du tout avant l’acte de leur procréation et être parvenus à un commencement absolu à partir du néant.
[…]
Tout cela, c’est la grande leçon d’immortalité que nous donne la nature, désireuse de nous faire comprendre qu’entre le sommeil et la mort il n’y a pas de différence radicale, et que celle-ci ne met pas plus l’existence en danger que celui-là. Le soin avec lequel l’insecte prépare une cellule, ou une fosse, ou un nid, y dépose son oeuf avec de la nourriture pour la larve qui en sortira au printemps, et ensuite meurt paisiblement, ressemble tout à fait au soin avec lequel un homme apprête le soir ses vêtements et son déjeuner pour le matin suivant, et ensuite va tranquillement dormir, et au fond tout cela serait impossible, si l’insecte qui meurt en automne n’était pas en soi et d’après son essence véritable, aussi identique à celui qui éclôt au printemps, que l’homme qui se couche pour dormir à celui qui se lève le lendemain.

***

Arthur Schopenhauer – Métaphysique de la mort (1890, extraits), in Compléments au Monde comme Volonté et comme Représentation, éd. 10/18, trad.  Marianna Simon.

Seigneurs, après avoir raconté des récits de pure imagination, je veux maintenant m’appliquer à rapporter des histoires véridiques, car celui dont le métier est de dire des fables n’est pas un conteur digne de s’adresser à une noble assistance s’il est incapable de relater des choses vraies ou au moins vraisemblables. Celui qui est expert en l’art de conter se doit, entre deux récits d’imagination, de rapporter des aventures vécues.

C’est la vérité pure, vivaient jadis, il y a bien une centaine d’années, deux compagnons qui menaient une fort mauvaise vie, car l’un était si envieux que personne ne l’était plus que lui, et l’autre était si cupide que rien ne pouvait le combler. Ce dernier était sans doute le pire des deux, car la cupidité est de telle nature qu’elle avilit maintes personnes; elle fait prêter à usure et tricher sur les mesures par désir d’en avoir plus. L’envie est aussi exécrable, car elle aiguillonne tout le monde.

Notre envieux et notre cupide chevauchaient un jour de compagnie lorsqu’ils rencontrèrent, je crois, saint Martin dans une campagne. Il ne lui fallut que peu de temps passé en leur compagnie pour s’apercevoir des mauvais penchants qui étaient enracinés au fond de leur coeur. Ils arrivèrent bientôt à une chapelle d’où partaient deux chemins très fréquentés. Saint Martin s’adressa alors aux deux compagnons qui se comportaient de manière si détestable.

« Seigneurs, leur dit-il, à cette chapelle je poursuivrai mon chemin en prenant sur la droite mais vous retirerez bénéfice de m’avoir rencontré. Je suis saint Martin, le prudhomme. Que l’un ou l’autre de vous me demande un don; il aura immédiatement ce qu’il désire et celui qui n’aura pas parlé en aura sur-le-champs deux fois autant. »

Alors le cupide pense en lui-même qu’il laissera parler son compagnon et qu’il en aura deux fois plus que lui. Il convoite ardemment un double gain.

« Demande, fait-il, cher compagnon. Tu obtiendras à coup sûr tout ce qu’il te viendra à l’esprit de demander. N’hésite pas à demander largement: si tu sais te débrouiller pour faire un bon souhait, tu seras riche toute ta vie! »

Celui qui avit le coeur plein d’envie n’avait pas l’intention de demander ce qu’il aurait voulu, car il serait mort d’envie et de rage si l’autre en avait eu plus que lui. Aussi restèrent-ils tous les deux un bon moment sans prononcer une parole.

« Qu’attends-tu? Qu’il ne t’en arrive malheur? fait celui qui était plein de cupidité. J’en aurai le double de toi et personne ne m’en empêchera. Demande vite ou je te battrai comme jamais âne ne le fut au Pont! »

« Sire, répond l’envieux, sachez-le, je vais demander un don avant que vous ne me fassiez mal. Si je demandais de l’argent ou quelques bien, vous en voudriez bien avoir deux fois plus. Mais si je peux, vous n’en aurez aucun bénéfice! Saint Martin, dit-il, je vous demande de perdre un oeil et que mon compagnon en perde deux: ainsi il sera doublement puni! »

Le cupide eut les yeux crevés sur-le-champs. Saint Martin tint parfaitement sa promesse: sur quatre yeux, ils en perdirent trois, ils n’en retirèrent pas autre chose. Saint Martin rendit l’un borgne et l’autre aveugle: par la faute de leurs souhaits, tous les deux y perdirent. Maudit soit celui qui s’en afflige, car ces deux hommes étaient de mauvaises gens.

Est-il défaut plus grand que d’être conscient du défaut d’autrui ?

***

Si autrui rit de vous, vous pouvez avoir pitié de lui ; mais si vous riez de lui, vous ne pourrez jamais vous le pardonner.

Si autrui vous blesse, vous pouvez oublier la blessure ; mais si vous le blessez, vous vous en rappellerez toujours.

En vérité, autrui est votre moi le plus sensible, auquel on a donné un autre corps.

Ce dialogue dont voici la fin est à propos de l’art du poète : s’agit-il d’un art, d’une technique, ou le poète est-il inspiré par les dieux ?

ION
Tu as raison Socrate. Je serais étonné pourtant que tu me parlasses assez bien pour me persuader que je suis possédé et dans le délire quand je loue Homère. Je crois que même à toi je ne paraîtrais pas dans cet état, si tu m’entendais parler sur Homère.

SOCRATE
Oui. Je consens à t’entendre, mais non avant que tu n’aies répondu à cette question-ci. Parmi les sujets dont parle Homère, [536e] quel est celui dont tu parles bien ? Car naturellement, ce n’est pas sur tous.

ION
Apprends Socrate, qu’il n’en est aucun sur lequel je ne parle pas bien.

SOCRATE
Il n’en est pas ainsi cependant même pour les sujets que tu ne connais pas et dont parle Homère.

ION
Et quels sont ces sujets dont parle Homère et que je ne connais pas ?

SOCRATE
Homère ne dit-il pas souvent [537a] bien des choses sur les arts aussi ? par exemple sur celui du cocher… Si les vers me revenaient à l’esprit, je te les dirais tout du long.

ION
Mais je te les dirai bien car je les sais , moi.

SOCRATE
Dis-moi donc ce que dit Nestor à Antiloque son fils, quand il lui conseille de prendre bien garde au tournant dans les courses de chevaux en l’honneur de Patrocle.

ION
« Penche-toi, dit-il, toi-même, dans le char bien poli, un peu à la gauche des deux chevaux ; puis pique le cheval de droite [537b] en l’excitant par des cris, et rends-lui les rênes. Une fois à la borne, presse le cheval de gauche, afin que le moyeu de la roue bien travaillée te paraisse arriver au sommet de la pierre, mais évite d’y toucher… »

SOCRATE
Assez. Qui saurait le mieux, Ion, [537c] si Homère se trompe ou non dans ces vers, un médecin ou un cocher ?

ION
Un cocher naturellement.

[…]

SOCRATE
Pour savoir si, dans les vers que tu as cités, Homère a raison ou tort, est-ce toi qui t’y connaîtra le mieux ou un cocher ?

ION
Un cocher.

SOCRATE
C’est que tu es rapsode, n’est-ce pas, et non cocher.

ION
Oui.

SOCRATE
Hé quoi ! Lorsqu’Homère dit qu’à Machaon blessé [538c] Hécamède, la concubine de Nestor, donne à boire une potion… et il parle à peu près ainsi : « Sur de vin de Pramne, dit-il, râpe un fromage de chèvre avec une râpe d’airain, et place auprès un oignon comme assaisonnement pour pousser à boire. » Appartient-il à l’art du médecin ou celui du rapsode de bien distinguer si Homère a raison ou tort de parler ainsi ?

ION
A l’art du médecin.

SOCRATE
Eh, quoi ? Lorsque Homère dit : [538d] « La déesse arriva au fond de la mer semblable aux morceaux de plomb qui, précipités dans la corne d’un bœuf vivant au grand air, va porter le deuil parmi les poissons mangeurs de chair crue. » Déclarerons-nous qu’il appartient à l’art du pêcheur ou à celui du rapsode de juger ce qu’il dit là et s’il a raison ou tort ?

ION
Il est évident Socrate, que c’est à l’art du pêcheur.

SOCRATE
Vois donc, si tu m’interrogeais à ton tour pour me demander : [538e]  » eh bien, Socrate, puisque tu trouves dans Homère les passages qu’il convient à chacun de ces différents arts de juger, allons, trouve-moi pour le devin et son art quels sont les passages pour lesquels il peut juger s’ils sont bien ou mal faits.  » Vois donc avec quelle facilité et quelle vérité je te répondrais, car souvent Homère parle de cet art dans l’Odyssée aussi, par exemple dans le passage où Théoclymène, le devin descendant de Mélampous, dit aux prétendants : [539a]  » Malheureux, quel est ce mal dont vous souffrez ? La nuit enveloppe et vos têtes et vos visages et vos membres inférieurs ; un gémissement éclate, et vos joues sont couvertes de larmes. Plein est le vestibule, et pleine est la cour de fantômes qui marchent vers l’Erèbe au sein de l’obscurité. Le soleil [539b] a disparu du ciel, partout s’est étendu un brouillard funeste. » Souvent aussi il en parle dans l’Illiade, par exemple dans le combat près des murs. Car il dit aussi dans cet endroit : « un présage se présenta à eux au moment où ils s’élançaient pour franchir le fossé. C’était un aigle au vol élevé, il repoussait l’armée vers la gauche, [539c] et portait dans ses serres un dragon sanglant et monstrueux encore vivant et palpitant, qui n’oubliait pas la lutte. Car il mordit l’oiseau qui le tenait à la poitrine près de la gorge en se rejetant en arrière, et l’autre le jeta à terre loin de lui à cause de sa douleur violente, et il le précipita au milieu de la foule, [539d] tandis que lui-même poussant un cri, suivit les souffles du vent. Je déclarerais qu’il appartient au devin d’examiner et de juger ces passages et d’autres semblables.

[X] ION

Et tu auras bien raison, Socrate !

SOCRATE
Toi, aussi, assurément, Ion, tu as raison. Va donc, et fais pour moi ce que j’ai fait pour toi. J’ai extrait et de l’Odyssée et de l’Illiade, ce qui concerne, le devin, le médecin et le pêcheur. [539e] Fais de même pour moi. Extrais, puisque tu as pratiqué plus que moi les poèmes d’Homère, ce qui appartient au rapsode, Ion, et à l’art du rapsode, ce que le rapsode doit examiner et juger plus que tout autre homme.

ION
Pour moi, Socrate, je déclare que c’est Homère tout entier.

SOCRATE
Tout entier, Ion, ce n’est pas toi qui parle ainsi. Es-tu oublieux à ce point ? pourtant il ne conviendrait guère qu’un rapsode fût oublieux.

ION
[540a] Et qu’est-ce donc que j’oublie ?

SOCRATE
Ne te souvient-il pas que tu déclarais l’art du rapsode différent de celui du cocher ?

ION
Oui.

SOCRATE

[…] En vérité, Ion, si tu as raison de prétendre que tu es capable de louer Homère en vertu d’un art et d’une science, tu me frustres, toi, qui après m’avoir promis de savoir beaucoup de belles choses sur Homère et avoir prétendu me donner une preuve de ton savoir, me trompes en ne me donnant pas à beaucoup près cette preuve. Car tu ne consens même pas à me dire le sujet sur lequel tu es habile, malgré mon insistance, mais comme un vrai Protée, tu prends toutes les formes en te retournant dans tous les sens […] [542a]. Si tu es un homme de métier, dans le sens où je le disais tout à l’heure, et que tu me trompes, après m’avoir promis de me donner un échantillon de tes connaissances sur Homère, tu me frustres. Si au contraire, tu n’es pas un homme de métier, et que, possédé par Homère en vertu d’un don divin, tu dises, sans rien savoir, beaucoup de belles choses sur ce poète, comme j’en ai dit sur toi, tu ne me frustres pas. Choisis donc ! Veux-tu être considéré par nous comme un tricheur ou comme un homme divin ?

ION
Ce sont là choses bien différentes, [542b] Socrate. Car il est beaucoup plus beau de passer pour un homme divin.

SOCRATE
Eh bien, nous te l’accordons, ce titre plus beau, Ion, d’être par une inspiration divine et non en vertu d’un métier, le panégyriste d’Homère.

Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem.

Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.

Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ?

Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.

Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau.

Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits.

Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie ; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent.

Toutes choses sont en travail au delà de ce qu’on peut dire ; l’oeil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre.

Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

S’il est une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau ! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.

On ne se souvient pas de ce qui est ancien ; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard.

Moi, l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem.

J’ai appliqué mon coeur à rechercher et à sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous les cieux : c’est là une occupation pénible, à laquelle Dieu soumet les fils de l’homme.

J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ; et voici, tout est vanité et poursuite du vent.

Ce qui est courbé ne peut se redresser, et ce qui manque ne peut être compté.

J’ai dit en mon coeur : Voici, j’ai grandi et surpassé en sagesse tous ceux qui ont dominé avant moi sur Jérusalem, et mon coeur a vu beaucoup de sagesse et de science.

J’ai appliqué mon coeur à connaître la sagesse, et à connaître la sottise et la folie ; j’ai compris que cela aussi c’est la poursuite du vent.

Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur.

***

Tableau : Holbein, Les ambassadeurs, 1533

Je commence à en avoir marre
Qu’on me parle de tous ces gens qui réussissent
Qui s’enrichissent, qui montent, qui montent
Qui prospèrent dans tous les domaines
J’en ai marre qu’on ait tant d’admiration
Pour les habiles, les têtes vides et les cœurs faux.
Et j’en ai marre surtout qu’on me les donne en exemple
Et me les assène comme d’une leçon.

A cinquante ans je suis jeune
Ce que voyant vous prenez de droit
De me traiter en gamin
Mais ce petit garçon en sait plus que vous
Mais cet idiot vous regarde avec pitié
Mais cet homme d’aplomb a du moins la pureté de vous épargner son mépris
Mais ce fou a des pudeurs que vous n’avez pas.
Honte à vous, adulateurs béats des riches
Honte à vous, applaudisseurs des tapageurs
Et je hais autant l’anarchiste étriqué qui s’offusque du mot Dieu
Et supprime la majuscule de ce mot
Que le vertueux crétin qui a peur de boire un bon coup
Parce qu’il veut vivre très vieux, n’est-ce-pas
et opprimer les autres longtemps.

Allez, traduisez-moi ça en patagon
Moldovaque ou même urdu
Puisque je parle en clair
Et que ce que je dis est trop net, trop nu
Trop simple et clair.

retournez à vos alphabets cochons
A vos morses dégueulasses
A vos chiffrages émasculés
A vos abstractions sublimées
A vos « langages « enfin.
Quant à moi je ne suis sûrement pas assez artiste
Pour me laisser séduire par l’envie
Ou l’esprit de compétition.

En vérité, j’aime l’ivrogne qui roule dans le fossé
Vous savez, ce superbe poivrot des champs
Je l’aurai assez dit: C’est un état comme un autre
Aussi digne et valeureux que celui de prêtre ou d’éditeur
Mais je crois qu’il vaut mieux être saoul.
Et quand j’ai le plaisir de rencontrer un vrai roi
Un pur grand homme, un salopard de race
Je retrouve mon coeur, ma vie abolie
La réalité criante de toute cette lumière
Qu’on aveugle, qu’on ravala au rang de contes
Et que si cruellement
On désapprit aux enfants même.

Quel succès! Quelle hygiène! Quelle réussite!
Mais je ris de vos réformes
Comme je me gausse de vos révoltes
De tout cet inessentiel
Dont vous vous réclamez, imbecillistes!

De ma mort (cette sorte d’allocation au céleste à mon espèce impressionnée)
De ma mort, je regarde votre vie
Et je me préfère où je suis.
Je suis en toute meilleure santé que vous.
De la fenêtre de ma mort
Je regarde l’obturation de votre vie
Comme la légende superbe contemple une piteuse vérité
Bouffée aux mythes (je dis bien)
Et moutonne deux fois (je dis bien).

Je deviens même philosophe
Et tissailleur de certaines théories
A force de sentir sourdre la vie.
Je sens la possible révolution
Sans arrachement, sans pollution
Sans désordres, sans éducations
Sans décrets, sans constitutions!

Mais voilà: elle vous passe et vous trépasse sous le nez
A cause de l’avidité et de l’accaparement
Et de l’adoration des principes !
Aussi je murmure sur le chapelet de tous mes os
Et le bréviaire de tout mon être
Et les cailloux de toutes mes déroutes
Et les clous vains de tous mes exorcismes:

Dieu, il n’est pas avec ceux qui réussissent!

***

Pépite trouvée chez Racbouni


Ecoutez ceci, tous les peuples,
prêtez l’oreille, tous les habitants du monde,
gens du commun et gens de condition,
riches et pauvres ensemble!

Ma bouche énonce la sagesse,
et le murmure de mon cœur, l’intelligence;
je tends l’oreille à quelque proverbe,
je résous sur la lyre mon énigme.

Pourquoi craindre aux jours de malheur?
La malice me talonne et me cerne :
eux se fient à leur fortune,
se prévalent du surcroît de leur richesse.

Mais l’homme ne peut acheter son rachat
ni payer à Dieu sa rançon :
il est coûteux, le rachat de son âme,
et il manquera toujours pour que l’homme survive
et jamais ne voie la fosse.

Or, il verra mourir les sages,
périr aussi le fou et l’insensé,
qui laissent à d’autres leur fortune.

Leurs tombeaux sont à jamais leurs maisons,
et leurs demeures d’âge en âge ;
et ils avaient mis leur nom sur leurs terres!

L’homme dans son luxe ne comprend pas,
il ressemble au bétail muet.
Ainsi vont-ils, sûrs d’eux-mêmes,
et finissent-ils, contents de leur sort.

Troupeau que l’on parque au shéol,
la Mort les mène paître,
les hommes droits domineront sur eux.

Au matin s’évanouit leur image,
le shéol, voilà leur résidence!
Mais Dieu rachètera mon âme
des griffes du shéol, et me prendra.

Ne crains pas quand l’homme s’enrichit,
quand s’accroît la gloire de sa maison.
A sa mort, il n’en peut rien emporter,
avec lui ne descends pas sa gloire.

Son âme qu’en sa vie il bénissait
– et l’on te loue d’avoir pris soin de toi –
ira rejoindre la lignée de ses pères
qui plus jamais ne verront la lumière.

L’homme dans son luxe ne comprend pas,
il ressemble au bétail muet.

Ce que j’écris :

La phrase qui tue :

Peu m'importe.
Peu m'importe quoi ? Je ne sais 
pas ; peu m'importe.
                    Fernando Pessoa

Classement par auteurs

Haïku !!!

Sans savoir pourquoi
                     j'aime ce monde
   où nous venons mourir___

                 Natsume Sôseki

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