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Vous savez le français,
vous divisez,
multipliez,
déclinez à souhait.
Eh bien, déclinez !
Mais dites-moi ─
pouvez-vous
chanter avec une maison ?
comprenez-vous la langue des tramways ?
Le petit de l’homme,
dès qu’il vient au monde ─
tend la main vers les livres,
vers les feuilles de copie.
Mais moi, j’apprenais l’alphabet sur les enseignes,
en en tournant les pages de fer et de tôle.
La terre, on la prend,
on l’émonde,
on la saigne ─
pour l’apprendre.
Ce n’est qu’une toute petite mappemonde.
Mais moi, mes côtes m’enseignaient la géographie,
ce n’est pas pour rien
qu’au sol
je me cognais la nuit.
De graves questions troublent les historiens :
─ Était-elle rousse, la barbe de Barberousse ? ─
Passons !
Je ne fouille pas ces poussières dérisoires.
Je connais à Moscou n’importe quelle histoire !
On prend Dobrolioubov (pour abhorrer le mal), ─
le nom s’y prête mal,
les parents râlent.
Moi,
les gavés,
depuis l’enfance je les hais,
toujours contraint
de me vendre pour dîner.
On s’instruit,
on s’assied ─
pour plaire aux dames,
les petites pensées heurtent leurs fronts d’airain.
Et moi,
je parlais
aux seules maisons.
Seuls les réservoirs d’eau devisaient avec moi.
Tendant attentivement leur lucarne,
les toits guettent ce qu’à l’oreille je leur corne.
Et ensuite,
sur la nuit
et l’un sur l’autre,
ils jabotaient,
tournant leur langue-girouette.

***

Vladimir Maïakovski (1893-1930)« J’aime » (Ljublju, 1922)

Votre pensée
rêvant dans votre cerveau ramolli,
comme un laquais repu se vautre au gras du lit,
je la taquinerai sur un morceau de coeur sanglant,
j’en rirai tout mon saoul, insolent et cinglant.

Dans mon âme je n’ai pas un seul cheveu blanc,
ni la douceur des vieilles gens !
A mon puissant verbe, le monde est tremblant,
je vais – superbe
avec mes vingt-deux ans.

Tendres !
Vous mettez votre amour dans les violons.
C’est dans les timbales qu’un dur met l’être cher.
Mais vous ne pouvez pas vous retourner les chairs
pour n’être comme moi que lèvres tout au long.

Toute en batiste, hors du salon –
devenez mon élève,
digne fonctionnaire d’une ligue angélique.
Et qui tranquillement vous feuillette les lèvres
comme la cuisinière un art gastronomique.

Voulez-vous
que je sois enragé par la viande,
-et puis, comme le ciel, changeant de ton –
voulez-vous
qu’irréprochablement je devienne tendre,
homme – non, mais – nuage en pantalon !

Je ne crois pas à une Nice de pétales !
Vont encore se glorifier par mes vers
les hommes croulants comme un hôpital,
les femmes rebattues comme un proverbe.

 

***

 

Vladimir Maïakovski, prologue du « Nuage en pantalon », 1914. Gallimard – traduction de Christian David

Ce beau poème m’a été donné en commentaire, et je le recopie ici pour que tout le monde en profite.

Pareil à moi, tu passes
Les yeux rivés au sol,
Je les baissais – aussi,
Passant, arrête-toi!

Boutons-d’or et pavots à la main,
Tu liras sur la pierre
Qu’on m’appelait Marina
Et l’âge que j’avais.

Non, ce n’est pas une tombe,
Je ne surgirai pas, menaçante.
J’ai trop aimé moi-même
Rire quand il ne faut pas.

Le sang frappait à mes tempes
Et mes boucles bouclaient;
Je fus aussi, passant!
Passant, arrête-toi!

Je n’accepte pas l’éternité
Pourquoi m’a-t-on ensevelie?
Je ne voulais pas quitter pour la terre –
Ma terre adorée.

Cueille une herbe sauvage
Et puis une fraise des bois –
Mûrie entre les tombes
Elle sera plus sucrée.

Mais ne te penche pas,
Triste, au-dessus de moi,
Évoque-moi sans peine,
Sans peine oublie-moi!

Comme le rayon t’éclaire
Il te poudroie d’or…
Que ma voix souterraine
Ne t’effarouche pas!

Koktebel, 3 mai 1913, in Le ciel brûle

Le vingt et un. La nuit. Lundi.
Les contours de la ville dans la brume.
Je ne sais quel nigaud a prétendu
Que l’amour existe sur la terre.
Paresse ? Ennui ? On y a cru.
On en vit ; on attend le rendez-vous.
On craint la séparation.
On chante des chansons d’amour.
D’autres découvrent le secret ;
Un silence descend sur eux…
Je suis tombée là-dessus par hasard.
Depuis, je suis comme malade.

***

Anna Akhmatova, Troupe blanche, 1917

Nos souvenirs connaissent trois périodes.
Dans la première, tout est comme hier,
l’âme se plaît sous leurs voûtes bénies,
le corps se plaît dans leur ombre propice
le rire vit encore, les larmes coulent,
la tache d’encre est encore sur la table –
et ce baiser comme un sceau sur le cœur,
unique inoubliable, baiser d’adieu…
Mais cette période n’est pas très longue.
Au lieu de voûtes bénies, une maison
solitaire dans un lointain faubourg,
où il fait froid l’hiver et chaud l’été,
où la poussière et l’araignée s’étalent,
où les lettres brûlantes en cendres tombent
et les portraits s’altèrent en cachette.
On y va comme on va sur les tombes,
en rentrant on se lave les mains,
en essuyant une larme fugace
des yeux lassés, avec un lourd soupir…
Mais l’horloge tictaque, les printemps
se suivent sans répit, le ciel rosit ;
le nom des villes eux-mêmes changent, et
s’en vont les témoins des événements.
Qui va pleurer, qui va se souvenir
et lentement nous abandonnent les ombres
que nous n’appelons plus, dont le retour
nous aurait même été effrayant.
Soudain éveillés, nous constatons que nous avons oublié jusqu’au chemin
de cette maison. Étouffant de honte,
nous y courons, mais (comme dans tous les rêves)
tout a changé : êtres, choses, murs –
Nous sommes étrangers. On nous ignore ;
Ailleurs, nous sommes ailleurs… seigneur Dieu !
Puis vient le plus terrible : nous voyons
que nous ne pourrions mettre ce passé
dans notre vie présente, et qu’il est
devenu aussi étranger pour nous
que pour notre voisin de palier ; que
nous ne saurions reconnaître nos morts
et que ceux dont le sort nous sépara
s’en accommodent parfaitement. Et même
que tout est pour le mieux…

***

Anna Akhmatova, « Quatrième élégie », in Elégies du Nord, Course du temps, 1945

Tableau : Van Gogh, « Pêchers en fleurs, souvenir de Mauves », 1888

Que tu te caches dans les trous de l’ombre,
que tu te sois donnée en mariage outre-mer,
je poserai sur toi un baiser dans le brouillard de Londres
des lèvres de feu des réverbères.

Que tu étires des caravanes dans le désert torride
où les lions montent la garde,
pour toi
je poserai sous le sable que le vent ride
ma joue saharienne qui arde.

Qu’un sourire sur tes lèvres s’allonge,
que tu regardes –
quel joli torero ! –
et soudain
je lance la jalousie dans les loges
de mon oeil mourant de taureau.

Que sur un pont tu portes ta distraite démarche
pensant
qu’il ferait bon en bas –
je suis
la Seine qui s’écoule sous les arches.
J’appelle et découvre mes dents gâtées.

Qu’au feu de tes trotteurs, avec un autre, tu allumes
la Strelka ou bien les Sokolniki,
c’est moi, perché là-haut, la lune
qui toute nue attend et se languit.

Je suis fort,
on peut avoir besoin de moi –
m’ordonner :
va te faire tuer à la guerre.
Ton nom sera
le dernier qui caillera sur ma lèvre déchirée par l’obus.

Mourrai-je couronné ?
A Sainte-Hélène ?
Sur les flots démontés de la vie je saute en selle,
je peux aussi bien postuler
l’empire universel
que les
menottes.

Qu’il me soit donné d’être tsar,
c’est ton minois
que sur l’or solaire de mes monnaies
j’ordonnerai au peuple
de frapper.

Et là-bas
où le monde à la toundra se lie,
où le fleuve et le vent nouent entre eux des marchés,
je graverai sur mes chaînes ton nom, Lili,
dans l’obscurité du bagne, j’embrasserai ma chaîne.

***

Vladimir Maïakovski, La Flûte de vertèbres, II, in A pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930, éd° Poésie / Gallimard, traduction de Christian David.

Des portes de la prison,

Des marais, de plus loin que l’Okhta,

Par un chemin non foulé,

Par un pré non fauché,

Malgré la patrouille de nuit,

Aux sons du carillon de Pâques,

Sans invitation,

Sans préparation,

Viens dîner.

***

Anna Akhmatova, in Roseau



Mars

Ô pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohème en pleurs !
En Espagne : le sang !
Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet
Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents
Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.
Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

***

Octobre 1934

une feuille vide et lisse
Les lieux, les noms, tous les indices,
Même les dates disparaissent.
Mon âme est née, où donc est-ce ?
Toute maison m'est étrangère,
Pour moi tous les temples sont vides,
Tout m'est égal, me désespère,
Sauf le sorbier d'un sol aride…
Ô larmes des obsèques,
Cris d'amour impuissants !
Dans les pleurs sont les Tchèques,
L'Espagne est dans le sang.
Comme elle est noire et grande,
La foule des malheurs !
Il est temps que je rende
Mon billet au Seigneur.
Dans ce Bedlam des monstres
Ma vie est inutile ;
À vivre je renonce
Parmi les loups des villes.
Hurlez, requins des plaines !
Je jette mon fardeau,
Refusant que m'entraîne
Ce grand courant des dos...
Voir... Non, je ne consens,
Écouter... Pas non plus ;
À ce monde dément
J'oppose mon refus !

L’adolescence a des leçons en masse.
On apprend la grammaire aux sottes et aux sots.
Donc moi,
ils m’ont viré de la cinquième classe –
Ils m’ont jeté dans les prisons moscovites
Dans votre
petit univers
d’appartement
poussent des poètes frisés pour les alcôves.
Que peut-on dénicher dans ces bichons lyriques ?!
Moi,
j’ai appris
à aimer
aux Boutyriks.
que me font les regrets sur le Bois de Boulogne ?!
Que me font les soupirs sur l’infini des mers ?!
Moi, c’est
d’une agence de pompes funèbres
que je m’épris
par le judas de la cellule 103
Ceux qui voient le soleil tous les jours
s’en font accroire ;
« Que valent – disent-ils – ces rayons de rien du tout ? »
Mais moi –
pour un reflet
jaune sur la paroi
j’aurais alors donné tout au monde

***

Vladimir Maïakovski, A pleine voix, anthologie poétique 1915-1930, Poésie/Gallimard

En un toast
à vous toutes
qui m’avez plu et me plaisez,
icônes bien gardées au creux de l’âme,
comme une coupe je soulève mon crâne
plein à ras bord de poésie.
De plus en plus je me demande
s’il ne serait pas mieux
que je me mette d’une balle un point final.
Aujourd’hui
à tout hasard
je donne un concert d’adieu
Mémoire!
Rassemble dans ma salle cérébrale
les files infinies des femmes chères.
Verse le rire d’oeil en oeil.
Pare la nuit en noces ancestrales.
Verse la joie de chair en chair.
Je vais jouer de la flûte aujourd’hui
sur ma propre colonne vertébrale.

Ce que j’écris :

La phrase qui tue :

Peu m'importe.
Peu m'importe quoi ? Je ne sais 
pas ; peu m'importe.
                    Fernando Pessoa

Classement par auteurs

Haïku !!!

Sans savoir pourquoi
                     j'aime ce monde
   où nous venons mourir___

                 Natsume Sôseki

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