La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures c’est l’homme, et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici parmi la bourbe et la fiente du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis, et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois : et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la Lune, et ramenant le ciel sous ses pieds. C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble. Comment cognait-il par l’effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ?

Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j’ai mon heure de commencer ou de refuser, aussi à elle la sienne. Platon en sa peinture de l’âge doré sous Saturne, compte entre les principaux avantages de l’homme de lors, la communication qu’il avait avec les bêtes, desquelles s’enquérant et s’instruisant, il savait les vraies qualités et différences de chacune d’icelles : par où il acquérait une très parfaite intelligence et prudence ; et en conduisait de bien loin plus heureusement sa vie que nous ne saurions faire. Nous faut-il meilleure preuve à juger l’impudence humaine sur le fait des bêtes ? Ce grand auteur a opiné qu’en la plus part de la forme corporelle, que nature leur a donnée, elle a regardé seulement l’usage des pronostications, qu’on en tirait en son temps.