Mon ptit Lou adoré
Je voudrais mourir un jour que tu m’aimes
Je voudrais être beau pour que tu m’aimes
Je voudrais être fort pour que tu m’aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes
Je voudrais que la guerre recommençât pour que tu m’aimes
Je voudrais te prendre pour que tu m’aimes
Je voudrais te fesser pour que tu m’aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans une chambre d’hôtel à Grasse pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans mon petit bureau près de la terrasse couchés sur le lit de fumerie pour que tu m’aimes
Je voudrais que tu sois ma sœur pour t’aimer incestueusement
Je voudrais que tu eusses été ma cousine pour qu’on se soit aimés très jeunes
Je voudrais que tu sois mon cheval pour te chevaucher longtemps longtemps
Je voudrais que tu sois mon coeur pour te sentir toujours en moi
Je voudrais que tu sois le paradis ou l’enfer selon le lieu où j’aille
Je voudrais que tu sois un petit garçon pour être ton précepteur
Je voudrais que tu sois la nuit pour nous aimer dans les ténèbres
Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule
Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d’un soudain amour.
***
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, 1947
4 commentaires
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24 mars 2010 à 08:13
É
Trop de poètes, peut-être, ont chanté des amours impersonnelles. Je t’aime, femme. C’est bien plus vrai de dire, à l’instar de M. Apollinaire: si tu étais ma sœur, je serais incestueux; si tu étais homme, je serais gai, etc. Et… il n’y a guère que la poésie qui puisse formuler cela sans être vulgaire comme je le suis en tentant de le résumer – Taisons et lisons.
24 mars 2010 à 17:03
Ad
Apollinaire est quand même limite vulgaire ici : c’est ce que je trouve original, et même drôle ; en tout cas dans d’autres poèmes à Lou, il l’est complètement… mais ça ne l’empêche pas d’être poétique, non ?
11 octobre 2011 à 18:11
beaunavire
Pureté innocente et cruelle des sentiments, tout est dit.
Pour que l’on l’aime.
20 janvier 2018 à 11:07
sylvainfoulquier
« Je voudrais que tu sois ma soeur pour t’aimer incestueusement » ou « je voudrais que tu eusses été ma cousine pour qu’on se soit aimés très jeunes » : je trouve ces mots d’amour (malheureusement à sens unique) magnifiques, intenses et profonds. Seul un immense poète (et Apollinaire est peut-être le plus grand du vingtième siècle, tous pays confondus) pouvait formuler les choses de cette manière, avec une simplicité bouleversante et sans être vulgaire. Car, disons-le avec force, la poésie est l’ennemie mortelle du politiquement correct et du puritanisme.