A Charles Moureau
Femme venue à nous par la première femme
Avec cette douceur à lécher tes petits,
Riche comme la mort, plus creuse que la paille
Dans ce corps si profond agencé comme un nid,
Marché d’hommes, criée du soir, rapide fête,
Condamnée aux amours et de lait se mouillant,
Foire à plaisir soumise aux douze temps des bêtes,
Pourvoyeuse d’oubli, passage des vivants,
N’as-tu rien à prévoir, Porte des voluptés
Pour ce germe jeté qui te cherche et va prendre ?
Toi si douce à toucher par les longs soirs d’été,
N’as-tu pas la raison te pleurant dans le ventre ?
Ce que tu vas tenir plus tard dans l’air du monde,
Lié à toi, le temps qu’on te coupe de lui,
Sais-tu qu’il est gibier dès que tes flancs le donnent
Et que des morts vont naître aux hasards de ton lit ?
***
Tableau : Tamara de Lempicka, Andromède.
14 commentaires
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21 avril 2010 à 08:22
Epitaphe Voili-voilou et oupala
Combien de poètes ont par le biais de leur plume honoré la Femme. La plupart d’entre eux n’ayant pas le pouvoir qu’elle possède « porter la semence fécondée » l’a montrée du doigt et lui a dicté ses lois.
Ce poème, écrit par une femme, ne la considère pas une fois humaine, elle n’est qu’un objet de plaisir, d’oubli, inconsciente qu’en donnant la vie, elle donne la mort.
Elle représente le pécher, n’a ni âme ni raison. Elle est intemporelle et originelle, accomplissant ce pour quoi elle fut créée. La perpétuité de l’humanité. Elle accomplit son oeuvre sans y penser, sans se douter que les mâles serviront de chair à canons. On ne se soucie pas de connaître sa souffrance, sa délicatesse et pour en finir sa tristesse. Elle est là, point final.
21 avril 2010 à 14:29
Désirée
Voili voilou a mis le « doigt dessus ». 🙂
Ce poème mon oreille de femme l’entend comme un reproches aux hommes. En dépersonnalisant la Femme justement, en montrant que pour beaucoup elle n’est qu’un objet.
Cette Eve éternelle n’est-elle pas autre chose qu’un « marché d’hommes » (on appréciera l’image parlante!) une « rapide fête » (deux mots qui claquent! « rapide » et « fête » pour qui??) une « porte des voluptés »?? ( oui elle n’est que la « porte » par où passent le plaisir des mâles, le sien n’étant la plupart du temps qu’accessoire) Cette femme si douce, au corps creux pour y accueillir ce grand miracle ordinaire de la grossesse, ce nouveau-né qu’elle tient à peine un instant contre elle lui sera aussi arraché par le père, la nation, que sais-je.
En gros, au bout, que te reste t’il Femme, à part tes larmes pour pleurer?
Sodenkamp était une forte femme, intelligente et sensible, lumineuse, sans complaisance. Son oeuvre est un vrai régal pour qui s’y penche…
25 avril 2010 à 15:46
Ad
L’avantage de ce blog, c’est que vos commentaires, en plus d’échanger sur des poèmes dont je ne trouve pas toujours à qui parler, me permettent aussi d’en mieux comprendre certains ! Donc, merci, mesdames, pour ces belles lectures de ce poème ! C’était surtout la dernière strophe qui m’avait marqué, et je n’avais saisi qu’à moitié la force de la partie centrale.
26 avril 2010 à 18:47
Epitaphe Voili-voilou et oupala
Un grand merci pour ces échanges autour de ce thème tabou. Ce blog me semble des plus utiles. Je prends plaisir à découvrir la poésie proposée par Ad et lire les différents commentaires des uns et des autres. Quelle belle ouverture. Un clin d’œil particulier à Désirée dont les remarques me donnent envie d’explorer l’œuvre d’Andrée Sodenkamp. En ce qui concerne Ad, une ovation sincère pour son humilité et sa franchise.
27 avril 2010 à 13:28
shaman
« la premiere femme »? c’etait lilith la libre et rebelle femme ou eve la soumise? lol, c vrai en tout cas , bravo pour ce blog , un joyau de la litterature …
bises
27 avril 2010 à 18:01
Ad
Je ne vais pas vous faire le coup de vous dire que vos louanges sont excessives, car un tel excès de modestie ne serait plus lui-même de la modestie.
Très heureux que ce blog vous plaise !
Et aussi, content de te voir passer par là Shaman ! N’oublie pas qu’Eve n’était pas si soumise, on sait pourquoi, et Lilith pas si libre, puisqu’elle rentrait tous les soirs s’occuper de ses petits lilithputiens, dont elle était la mère. Si si, c’est vrai !
(pardon ô Dieu des poètes d’avoir souillé ce beau poème de remarques si puériles…)
28 juin 2010 à 08:38
Désirée
Disons que Lilith était plus ouvertement rebelle. Qu’Eve avait appris de son aînée une certaine « rouerie ». Ce qui fait qu’encore aujourd’hui la Femme est synonyme de ruse et de « piège à mecs » pour bien des esprits étroits et limités. Chose que les religions appuie évidemment…Femme, as-tu une âme?
4 novembre 2010 à 22:00
Yano
Juste une précision pour info:
En islam, point question de Lilith. Eve est la seule femme d’Adam.
Il ne faut donc inclure l’islam dans es religions qui appuient tes propos.
4 novembre 2010 à 20:02
Yano
Ce poème dune femme sur la femme m’a choquée et heurtée d’une manière indéfinissable.
Elle la voit, la représente, la définit sous l’angle de la matière, d’objet, de fonction.
Elle la déshumanise, lui ôte toute dignité.
En réaction, je n’ai pu qu’émettre ces quelques rimes sur mon regard personnel de la femme sur la femme et encore, ce n’est qu’une réaction spontanée, impulsive, à chaud:
http://mayaime.wordpress.com/2010/11/04/femme/
Yano
5 novembre 2010 à 10:40
Désirée
D’où l’intérêt de relire les poèmes avant de réagir « à chaud ». Cette femme matière, objet, fonction, c’est justement ce que dénonce Andrée dans ce texte en se plaçant dans l’optique de certains hommes un peu « bas de plafond ». Vous n’avez donc rien ressenti de la tristesse qui se dégage de ce texte?
Je crois que peu de femme ont aimé et écrit la Femme comme l’a fait Andrée, en lui rendant sa dignité, sa douceur, sa rondeur, sa fragilité et ses faiblesses. Et sa noblesse.
Sinon bonne journée 🙂
5 novembre 2010 à 10:48
Désirée
« N’as-tu pas la raison te pleurant dans le ventre ? »
Bon sang que oui!
5 novembre 2010 à 17:04
yano
J’avoue très franchement ne pas comprendre cette phrase.
Qui est la raison dont elle parle: l’homme?
Et qui est le ventre: la mère?
J’ai beau lire et relire je ne comprends toujours pas
Merci de m’éclairer.
5 novembre 2010 à 17:02
yano
Mais comment peut-on rendre hommage à la femme en parlant d’elle avec la vulgarité mâle dont on se plaint justement.
Ne peut-on se plaindre de manière digne et noble autant que féminine pour plus que se plaindre suggérer une alternative, proposer une solution, décrire ce qu’on veut , attend.
Visiblement, je n’ai effectivement pas saisi l’ampleur de sa tristesse.
Bien que ce soit , dans ce cas plus la forme , l’expression que je désapprouve et pas la question.
14 novembre 2010 à 15:04
Désirée
La « raison » appelez-là lucidité. Je ne trouve pas qu’Andrée parle de la Femme d’une façon vulgaire ou qu’elle la plaigne. Elle « met le doigt dessus » dirai-je, elle ne montre que ce que toutes nous connaissons, subissons pour certaines: le poids du patriarcat.
Quand à « expliquer » un poème, il me semble que c’est impossible. Je ne m’y risquerai pas d’avantage, je laisse cela aux spécialistes et aux légistes. Je me contente d’user de ma sensibilité, de ma capacité d’absorption, cela me permet de pénétrer assez loin derrière les lignes toutefois. Aller à la rencontre d’un auteur en dit long également sur l’ossature de ses poèmes. Andrée était flamboyante, une vraie diva, mais c’était une femme fière qui aimait un homme qui la trompait. Et la complexité de ses sentiments se lisent dans ses poèmes. C’était une belle femme, et je ne parle pas de sa figure…